lundi 6 mai 2013

Chapitre 7 (par Jean-Luc Mercier)


Frédéric n’avait plus peur, non. C’était la colère qui l’envahissait maintenant, et cet « enfoiré » de ministre a vite compris qu’il fallait le calmer pour le moment.
Bon ! De toute manière, je saurais tout et tu vas tout me dire. Il y a quelques surprises qui t’attendent… au Fort de Bellegarde ! Ta femme va aimer, je crois, ce qu’on va lui proposer (rire). Et je suis certain que ça te rendra bavard. Vous allez faire un petit voyage… dans un joli coin, mais tu ne vas peut-être pas en profiter (rire). Dommage, c’est joli le Fort de Bellegarde, mais c’est un peu sombre dedans (rire)… mais peu importe, tu ne connais pas, bien sûr !
« Le Fort de Bellegarde ! Pauvre con » pensait Frédéric à cet instant. Bien sûr qu’il le connaissait. De l’extérieur seulement, mais plus d’une fois il était allé là-bas plus jeune. Au Perthus, juste à deux cents mètres de la frontière espagnole. Ce n’est pas le fort qu’il l’intéressait vraiment à l’époque, mais les ruines de Panissars, l’ancienne voie romaine juste à cheval sur la frontière, au niveau de la crête.
Mademoiselle Catherine, s’il vous plaît.
À l’appel du ministre, une hôtesse, une femme cette fois, apparu immédiatement, suivie de près par les deux baraqués en noir. Elle tenait un plateau dans la main.
Notre ami se sent fatigué. Il voudrait dormir.
Sans dire un mot, la femme s’approcha de Frédéric et posa le plateau sur la table entre le ministre et Frédéric. Tout ce qu’il faut pour une piqûre !
Laissez-vous faire monsieur Chanzet…
Jantet !
N’ayez pas peur, monsieur Chantet (rire) c’est juste pour dormir (rire).
Frédéric serra les dents. Que pouvait-il faire d’autre ? Tout lui paraissait irréel, la scène, ces moteurs qui vrombissaient en sourdine prêts à faire décoller l’avion, le ministre qui se levait et quittait la place, cette « infirmière » qui semblait plutôt sympathique, sa femme aux traits vieillis qui ne disait rien et n’avait pas vraiment l’air effrayé, cette porte d’avion qui se fermait et cette brume qui s’installe, qui étouffe les sons et…

*
* *

Quand il ouvre les yeux, Frédéric se croit mort, le temps de quelques secondes. Un chaud rayon de soleil l’éblouit. Il est bien, dans un nid douillet. Il est sorti du Jet et… sorti du Jet ? Il sursaute d’un coup dans le lit. Plus d’avion, plus de ministre, plus personne… Mais qu’est-ce que c’est que cette affaire ? FOU… il est fou, c’est certain. Pas mort, mais fou. FOU.

Et pourtant… ce lit, cette jolie pièce, cette lumière… il s’approche d’une fenêtre et voit un paysage superbe avec… mais oui, c’est sûr… le Canigou enneigé en toile de fond ! Existe-t-il seulement un mot pour traduire telle incrédulité et telle incompréhension ? Pourquoi était-il là ? En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’angoisse reprit le dessus. Et tout pourtant paraissait si calme ! Il se précipita de l’autre côté de la pièce, vers la fenêtre opposée. Une petite rue, un magnifique clocher en briques et pierres, surmonté d’un dôme lui-même encadré de quatre petits dômes plus petits… et la pendule qui annonce 9 h 44 ! Et cette façade étrange, là, juste de l’autre côté avec ses mosaïques et son large fronton ondulant… Il connaissait. Il était déjà venu là aussi ! Pézilla ! Oui c’est cela, Pézilla-la-Rivière ! Il avait visité plusieurs fois ce village. Mais qu’est-ce que ça signifiait ? Hasard ? Trop de hasard ! Beaucoup trop pour Frédéric en tout cas. L’avion s’était donc bien posé à Perpignan. L’aéroport n’est d’ailleurs qu’à 8 km de là. Mais pourquoi n’était-il pas au Fort de Bellegarde ? Qui l’avait mené là ?
Il cria par trois fois un « ohé… il y a quelqu’un ? », mais en vain. Subitement comme un excité, il voulut comprendre et sillonna les trois niveaux de la maison dans tous les sens, même le jardinet. Rien ! Personne ! Il refit le tour, cria à nouveau… rien. Une superbe bâtisse des années 1900, parfaitement dans son jus, avec du beau mobilier, de beaux carrelages anciens, une verrière… mais vide ! À moins que les gens se soient absentés quelques instants en pensant qu’il dormait. Il vaudrait mieux vite partir, pensa-t-il. Il faillit quitter la maison, mais se ravisa. Son blouson ! Il avait dû le laisser dans la chambre. Vite remonté au premier, il remarqua sur la large commode une grande enveloppe, dressée bien en évidence juste à côté de son blouson posé sur une chaise. Cela lui avait échappé, dans un premier temps.
Il l’attrapa et l’ouvrit : de l’argent, dix billets de 50 € ! Une clé de voiture ! Et une feuille pliée en deux qu’il s’empressa de déployer. Message bref dactylographié : « Prenez l’argent. Il y a une Ford fiesta vert sombre immatriculée AGD 66 garée face nord de l’église. Prenez là et quittez au plus vite les lieux. RDV à la Casa Museu Salvador Dali, Cadaquès, 14 h 50, impérativement. N’ayez pas peur. On est là pour vous aider. Il y a de quoi boire et manger dans la voiture. Soyez discret et évitez les grandes routes ».
Pas de signature évidemment. Il prit son blouson, l’argent, la clé, la lettre et partit très vite vers l’église. Il n’a vu qu’une vieille dame au coin de la rue qui n’a même pas levé le nez en le croisant. Tant mieux. La voiture est là ; la clé ouvre bien la portière et entre dans le contact. Frédéric hésite un instant. « Et si je m’enfuyais » pensait-il à ce moment. Fuir. Fuir. Tout stopper. Mais en même temps… fuir pour aller où ! Et qui lui « veut du bien » ?
Finalement, il décide d’aller à ce rendez-vous. Il reprend la lettre pour la relire, mais oh ! Le texte est tout pâle ! De l’encre sympathique, à tous les coups, qui s’efface à la lumière. Il relit vite le message pour l’enregistrer, puis le relit une dernière fois et démarre.
Venir jusqu’à Cadaqués ne fut pas des plus aisé, car pas question de prendre la classique route d’Espagne, ni par la nationale, ni par l’autoroute. Trop risqué. Surtout qu’elles passent toutes les deux au pied du Fort de Bellegarde, justement ! C’est donc par les petites routes que Frédéric s’y rendit. Passé Perpignan, il choisit de partir vers l’Est, de s’approcher de la côte puis de rejoindre l’Espagne en prenant les chemins inverses que ceux qu’empruntèrent des dizaines de milliers de personnes fuyant le franquisme en 1939 après la chute de Barcelone. Sur les hauteurs des Albères, il passa ainsi le goulot d’étranglement côtier en empruntant la route Madeloc puis celle du Mas Reig avant de rejoindre enfin le discret col de Banyuls. Des paysages sublimes qui l’apaisaient, souvenirs d’été sublimes vers 18-20 ans, même si ici l’Histoire fut douloureuse. Une plaque la commémore d’ailleurs, dans ce lieu très isolé.
Comme prévu, il fut presque seul sur ces petites routes. Côté espagnol, c’était du billard : Espolla, Garriguella, Vilajuïga, Sant Pere de Rodes… aucun risque de se faire prendre, sauf peut-être au passage obligé, par ce côté, au niveau d’El Port de la Selva !
La tranquillité de ces petites routes lui laissait le temps de se demander qui avait pu lui envoyer ce message, et pourquoi ce rendez-vous en Catalogne à la Maison Dali, à Cadaqués. Qui pouvait savoir qu’il connaissait ces lieux… Hasard ? Il n’y croyait toujours pas et l’angoisse montait en lui. À quoi devait-il s’attendre ? Finalement, rien ne semblait anormal sur ces routes. Frédéric ne se sentait ni repéré ni suivi et s’engagea sur la petite voie du sud pour franchir les quelques sommets qui le séparaient du lieu de rendez-vous.
À l’entrée de Cadaqués il bifurqua vers la route du Cap de Creus jusqu’à Port Ligua. « Bon sang que c’est beau » ne put-il s’empêcher de penser. Mieux, les lieux sont sublimes, mais pas le temps de s’attarder. Pourtant, la splendeur des lieux lui faisait un bien fou. Il lui semblait enfin revivre un peu. Toutes les tensions et angoisses de ces derniers temps laissaient place à un certain repos de l’esprit… tout relatif quand même. 14 h 40, il se gare à deux pas des vagues. Il n’a plus que dix minutes pour rejoindre à pied par la plage la Casa Museu Salvador Dali, une maison les pieds dans l’eau, rien que ça. L’artiste ne s’était pas installé dans le coin le plus moche, en son époque ! Arrivé devant la porte de la maison musée et avant même qu’il ait le temps de la pousser, un « psttt » l’interpelle dans la seule petite venelle des lieux. Une ombre furtive dépose quelque chose sur un muret bas… une main au soleil et un corps voilé de noir à l’ombre, qui disparaissent !
Frédéric est tout à la fois inquiet et rassuré. Rassuré surtout parce qu’au moins, là, il ne se fera pas agresser. Passés les vingt mètres qui le séparent du muret, il découvre un papier plié et attaché sous une pierre plate. Vite ouvert, juste une phrase : « 15h20 à Cadaqués - angle Avinguda Caritat Serinyana et Carrer Nou ». Ni en catalan, ni en espagnol, ni en français ! « Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel » pensa Frédéric franchement inquiet ; la peur revenait. Qui allait-il rencontrer ? Nœud aux tripes, il repartit vite en sens inverse… la plage, la voiture, Cadaqués. Pas de temps à perdre.
Heureusement, à cette époque, pas un touriste. Juste quelques ombres furtives. Il se gare un peu à distance près du carrefour du rendez-vous. Il connaît les lieux, il est venu plusieurs fois à l’hôtel Calina, non loin et repère vite l’angle des deux rues. D’un regard le plus synoptique possible, il embrasse les lieux, debout contre un mur un peu à distance, à l’ombre.. Encore trois minutes à attendre. D’un coup une grosse voiture noire arrive en trombe et pile nette en travers de la seule route de sortie de Cadaqués, à moins de 50 m de là. Cette voiture… il l’a déjà vu, sans trop y faire attention ! Une Dodge NITRO, un V6, une sorte de monstre que le subconscient enregistre dans un coin de mémoire… Mais oui, c’était la même qui était partie en trombe quand il est arrivé chez lui dans le XVIe, pour trouver son patron mort ou comme tel.
Pas le temps de rêvasser ; quatre hommes en noir sortent précipitamment de la Dodge. Le plus petit, un roquet, lance alors aux trois autres, sans doute ses pit-bulls « Tráeme a ese cabrón, ¡rápido! ». Oh putain !!! c’est reparti. Ce coup-ci ils veulent sa peau… il a compris. Frédéric sait qu’il n’a pas été vu, pas encore, et il s’enfuit déjà. Il n’a plus qu’à tenter de se perdre dans les ruelles. Heureusement, adepte d’une vie tranquille il n’en reste pas moins très vif et réactif. Il part de toutes ses jambes dans le vieux Cadaqués. À droite, à gauche, encore à gauche, le raidillon rocheux entre les maisons… à nouveau à droite… pas le temps de souffrir. Carrer del Portal d’Amunt ! Vite, il faut qu’il passe Santa Maria, l’église. Après il sait où se planquer, si l’endroit existe toujours. Ça monte. Presque à bout de souffle, il s’approche enfin du lieu de culte. Mais… mais… oh putain il est poursuivi, quelqu’un le suit ! Santa Maria… vite. Merde !!! Droite ? Gauche ? Trou de mémoire ! L’impasse… à droite ou à gauche ? Plus le temps de réfléchir… gauche.
Raté ! C’est l’impasse. Alors qu’il se sent déjà transpercé par les balles qui vont inévitablement le tuer, une main se plaque contre sa bouche et un bras le retourne brutalement.
NON !!!
La main s’écarte de la bouche...
« DIEGO ! (…) Mais… mais qu’est-ce que tu fous là ? » « Chutttt ! Déshabille-toi » « Mais ça va pas ! Tu… », « Chuttt ! Moins fort. Attend, c’est ton blouson… jette ton blouson et souis-moi, vite ». « Mais pourquoi ? J’ai… », « Fais cé qué jé té dis. Ils ont mis un mouchard dans ton col dé blouson. Cé pour ça qu’ils sont là. Vite ! Souis-moi ».
Frédéric comprend de moins en moins. Mais enfin, qui est qui ? Qui veut quoi ? Et Diego maintenant… Frédéric veut savoir, il en a marre, il veut comprendre, mais il ne peut pas. Diego est déjà reparti en courant. Vite il prend l’argent, la clé, la feuille devenue blanche et laisse son blouson au sol. Maintenant il doit le suivre. Il n’a pas le choix.

*
* *

Vingt minutes déjà qu’ils sont là, tous les deux dans la presque obscurité, serrés dans un petit cabanon sur la Carre Sant Pius V, juste avant la pointe rocheuse tout au sud de Cadaqués. Interdiction de parler. Pas un bruit. Diego a été formel. Il surveille l’horizon par un petit espace entre les lames de bois et se rassure de ne voir personne venir dans cette direction depuis le village. Mais Frédéric n’a plus envie de parler. Il ne comprend rien, mais il sait maintenant que Diego n’est pas contre lui, mais avec lui et qu’il lui veut du bien.
Diego !… du bien ! Frédéric est troublé, ému, perturbé… Là, maintenant, la chaleur et la puissance de ce corps de dieu collé contre lui réveillent immédiatement des émois qu’il croyait à jamais enfouis. Diego ! Toujours aussi baraqué, charmeur comme pas deux, gueule carrée au sourire ravageur, qui ravage tout, même l’hétéro de service.
Frédéric ne peut s’empêcher de se souvenir comment il s’est fait piéger par ce Diego-là. La seule fois de sa vie… mais quelle fois ! Oh putain ! Randonneur solitaire en cette fin d’été, alors qu’il suivait le chemin côtier de Roses à Cadaqués, il fut pris d’un malaise, des nausées violentes. Trop chaud, pas de vent, l’insolation sûrement. Presque complètement dans les vapes, replié à l’ombre d’un chêne-liège rabougri, souillé à force de dégueuler… un gaillard jeune et radieux, très souriant, lui apparut dans les brumes ! Le gars a vite compris, et dans un putain d’accent ensoleillé lui a dit de se laisser faire. C’était Diego, qui le porta dans ses bras et dévala la pente jusqu’à la mer pour le plonger doucement dans l’eau. Une demi-heure après… deux mecs à poil qui baisaient comme des bêtes dans une eau sublime. L’un plus que ravi, car plus gay que le plus gay des homos, l’autre complètement honteux, mais franchement en plein délire, surtout après les quelques sniffettes de poppers que le très stratège Diego lui avait soumis pour le désinhiber ! Bref… une fois, une seule, enfin… 10 fois, mais d’affilée… jusqu’au lendemain après-midi suivant, mais Wouaououhhh !!!
« Jé sens qué tou n’a pas oublié ».
Frédéric sursauta et se sentit soudainement très con ! Ah c’était bien le moment, se laisser envahir par des souvenirs très… Diego ouvrit la porte du cabanon et sourit largement en voyant la tronche déconfite du fugitif amant d’autrefois, et le tissu trop tendu.
« Excuse-moi… Excuse-moi… Je » « Ma dé quoi tou veux que jé t’excouse, s’esclaffa Diego en riant… moi j’aime tou sé, j’aime beaucoup beaucoup… beau gosse ! À presqué quarante ans tou es peut-être même plou sexy qu’à 20 (rire) »
Diego, je t’en prie, aide-moi, je suis dans la merde.
Oui, jé vois, tou bandes !
Arrête... c’est pas le moment. Je suis vraiment dans la merde.
Jé sais. C’est pourquoi jé souis là. N’empêche tou débandes pas (rires).
Mais comment tu sais ? Avec qui tu es ? Tu me veux quoi ? Qui t’envoie ?
Jé veux baiser avec toi (rires).
Arrête, je ne sais pas pourquoi je bande.
Mais si, mais si (rires) en plous tou à la tête du mec qu’a pas baisé dépouis longtemps (rires) té tout congestionné (rires)… et çà m’excite aussi (rires toujours… mais à l’évidence Diego était soudainement aussi bien excité !).
Fais chier ! Diego chui pas pédé.
Moi non plou. J’aime pas lé pétits garçons, j’aime qué les mecs (rires). Jé souis pas pédé, jé souis gay (rire), mais né t’inquièté pas, cé né pas le moment… on verra ça plous tard, hélas. On est dou même bord, jé souis aussi dé la DGSE.
TOI ! À la DGSE !
Eh oui. Presqué dépouis qué jé té rencontré ! Toi tou es à l’Exploitation dou renseignement et moi jé souis dans les Opérations clandestines. Et en plous… jé souis plou gradé qué toi (rire). J’ai fait Centrale à Paris moi, tandis qué toi tou né qu’ouné pétite ingénieur dou traitement d’infos (rire). Tou voi jé connais tou dé toi. Jé né té jamais perdou dé vou. Mais jé t’en ai déjà trop dit.
— Et comment tu as su pour moi, maintenant ?
— C’est Paul dou service interne des fraudes de la DGSE  qui m’a prévenou. Jé crois pas qué tou lé connais… il avait des soupçons à propos dou ministre et de ses collaborateurs de la défense, il a ou vent par quelqué dénonciations. Il té sourveillait car il savait qué tu bossais sour cé dossier là et qué tou allait nécessairément trouver des choses. Il a vite compris et il m’a contacté. Jé travaille souvent pour loui. Alors j’ai fait jouer mes indics et jé té rétrouvé. 
— Mais le Jet, le ministre, ma femme Isabelle ? J’ai pas rêvé, je…
— Ta femme ! Non, ce n’était pas elle, mais ouné photocopie.
— Une photocopie ! Tu veux dire un sosie ?
— Oui, si tou veux. Jé né mé souvénais plou dou mot. Cé pas ta femme. Aux dernières nouvelles elle vit à Londres, avec ton fils. Et jé crois qué tou né les intéresse plou beaucoup. Mais jé né pas lé temps dé parler dé tout ça maintenant. Cé comme l’autre Frédéric Jantet qu’ils ont montré à la télé. Il n’existe pas. Ils ont voulu té faire témoigner à ta place et laisser croire que tou avais ounén frère joumeau qui a assassiné ou tenté d’assassiner lé ministre.
— C’est pour ça qu’ils n’ont pas cité mon prénom à la télé, mais ont juste dit « Jantet, le frère de Frédéric Jantet » ?
— Exact. Pas question dé dévoiler qué cé lé bordel à la DGSE ! Et d’ailleurs, tou a vou, ils ont été proudants avec lé ministre… ils n’ont pas dit qu’il était mort, mais qu’il a été rétrouvé sauvagément agressé dans un logément parisien. Ils en parlent lé moins possible d’ailleurs, alors qué ça devrait passer en boucle !
— N’empêche, cet enfoiré, je l’ai bien vu dans l’avion. Il est où ? Et les autres ? Et l’avion ?
— Tou poses trop dé questions. Celle qui t’a fait la piqoure cé ouné infiltrée, par la DGSE. Lé ministre il n’ai pas vénou. Il est resté à Paris. Cé pas loui qui fait lé tortoures et…
— Tortures ? Quelles tortures ?
— Qu’est-ce qué tou crois qu’ils allaient té faire à Bellegarde. Bref, Marianne, enfin… Cathérine elle t’a fait ouné forte dose de somnifère pour qué tou né té rendé compté dé rien pendant ouné bon moment. Et à l’atterrissage, elle a gazé la cabine pour qué lé molosses tombent dans les choux.
— Et après ?
— Lé pétit comité d’accueil t’a récoupéré et emméné chez nos collaborateurs. Tou sais, l’aéroport dé Perpignan c’est ouné aéroport comme au Zimbabwé (rire). Quand tou sort dé l’’avion tou té rétrouvé à pied sour lé tarmac. Alors, quand l’avion est derrière l’aéroport… ni vou ni connou… ouné complice à la tour dé contrôle et tou sort sans passé par l’aérogare. Après, j’ai pensé qué tou serais bien à Pézilla, jé prends soin dé toi (rire). Ni vou, ni connou, non plous (rire), sauf qué tou avais ouné mouchard sour toi et qué tou a dé la chance qu’ils né t’ ont pas rétrouvé trop vite. Ils dévaient être sacrément sonnés pour né pas avoir pou té suivre aussitôt (rire). Bon, assez parlé. Tou vois cé moi qui est méné la danse, mais jé né savais pas qué les autres allaient té trouver si vite. Quand jé les ai vou débarqué à Cadaqués, jé mé souis planqué en attendant qué tou té sauves. Et voilà, jé té rattrappé. Mainténant ils doivent fouiller touté les rouelles et lé maisons.
Et pourquoi m’avoir envoyé chez Dali.
Ouné précautione. Dolorès est oune bonne filtre et…
Dolorès, c’est l’ombre que j’ai entrevue ?
Oui. Si oune autre personne s’était pointé à ta place, il y avait un pétit comité pour lé récévoir. C’est facile là-bas. Couic… piégé !
Et on fait quoi maintenant ?
On baise !
Mais…
Non jé rigole. Jé pensais pas être emmerdé ici, mais tou va té barré sans problème, à pied.
Mais la bagnole.
On s’en fout dé la bagnole. Tou va prendre lé sentier dé Rosas, là. Tou connais. Mais tou t’ arrêtes à la Cala Jôncols. Tou té souviens. Jé souis sour qu’ils né connaissent pas cé sentier.
Euh la Cala Jôncols dans la crique, c’est là où…
Eh oui… qué jé té montré cé qué cé vraiment baiser (rires). Tiens voilà la clé dou cabanon du bout dé la plage. Il y a dé quoi manger et dormir. Demain, tou pars tôt, tou dois réjoindre Montjoi, tou sé lé point dé vou qu’il y a avant Roses. Là tou trouvéras ouné voitoure, ouné Seat blanche, les clés sont sous la pierre derrière lé troisième gros pin au nord. Dedans sous lé siège il y a touté les instrucziones. Et lé billet d’avion. Et dé dévises.
Mais..
Tais-toi, gueule d’amour ! Tou dois être à Barcelona pour l’embarquement à 17 h. On sé rétrouve dans trois jours à 15 heures au Dixit Bar, c’est jouste au soud-ouest dou palais présidentiel sour la Vaggeplein.
Mais c’est où, ça ?
Rétiens bien Dixit Bar, 15 h, Vaggeplein. C’est à Paramaribo.
PARAMA…
—… RIBO, oui ! Au Souriname ! C’est bien là qué tou a trouvé lé point dé choute dé l’essentiel des armes, non ! Lé Proche-Orient cé qué dés la façade, tou lé sait. Joust’ouné plaqué tournante. Jé crois qu’il y a des ramifications avec la Colombie et peut-être les branches armées dou Sentier Loumineux dou Pérou.
— Tu ne sais pas tout, Diégo. Le problème est surtout en lien avec l’orpaillage sauvage en Guyane, de l’autre côté du Maroni. Tu sais que la plupart des garimpeiros qui travaillent illégalement pour l’exploitation de l’or sont des clandestins brésiliens ou du Suriname. Je sais que la vente des armes va en grande partie aux orpailleurs et l’argent sert en particulier à l’achat des enfants, garçons et filles. Échange de bons principes : le silence sur l’orpaillage plus la vente d’armes contre les gamins et 20% des ventes d’or. Mais c’est avec à vérifier. Il faut qu’on sache. Car c’est sous couvert du ministre. Ce n’est pas pour rien que les opérations Anaconda donnent si peu de résultats.
— Jé né savais pas pour les enfants. À plous forte raison pour qué la DGSE intervienne. On a des appouis. Ces gamins… c’est terrible, qu’est-ce qu’on va trouver ?
— Mais la DGSE n’intervient pas là-bas ! Notre spectre d’action s’étend d’abord du golfe de Guinée à la chaîne de l’Himalaya ! On ne sera pas soutenu.
— Tstt, tstt… Faux ! La DGSE c’est nous, non ! Et la « Boîte » est sour tous les fronts, tout lé sait. « Partout où nécessité fait loi », cé la dévise non ! Jé déjà les accords en amont et dé bons indics pour trouver des témoins là-bas, ma il faut qué tou puisses leur donner quelqués infos sour ce qué tou a trouvé pour qu’ils nous emmènent où il faut.
Non, mais arrête, tu déconnes ! Ce que j’ai trouvé, ce que j’ai trouvé… Je ne suis pas James Bond moi. Putain, j’ai rien demandé.
Non, mais tou as trouvé (rire). T’inquiètes, jé t’expliquérais tou là-bas.
Mais ils parlent le néerlandais là-bas !
T’inquiètes, jé té dis. Mes contacts parlent aussi anglais, espagnols et même français pour certains. Pas d’excouses (rire).
Mais Diego… c’est une blague. Je ne veux pas partir, je veux retrouver un chez moi.
Tou parles ! Déjà tou né peux pas, tou lé sais, et en plous, pas dé femme qui t’attend… tant mieux pour moi (rires), plou d’amis non plou… Et pouis té dans la merde, alors on va s’en sortir. Tiens, tou né bandes plous ! (rires) Bon J’y vais, jé dois m’occouper dou roquet et des molosses… ça va péter (rires) jé té lé dis. Dommage pour lé V6. La Dodge NITRO va sé transformer en Dodge NITROglycérine (rires). Va vite.
Diego ! Mais tu vas tuer ces mecs ?
— S’ils sont trop près dé la voitoure tant pis pour eux (rire). Moi jé né toue personne directement… en général (rire). En plous, ils sé sont déjà entrétoué en sortant dé l’aéroport à cé qué ma dit Cathérine. Deux morts… cé pas moi, pour ouné fois (rire). On dira qué cé la mafia.
— Diego !
— Non, mainténant va vite !
— Diego !
Va !
Diego !
Dis… au fait, à Paramaribo on baisera hein ! tou mé dois bien ça (rires), dit il en mettant la main au paquet de Frédéric.
Mais…
Pas dé, mais, jé souis sour qué tou va encore aimer (rires) jé vé pas té laisser tout constipé dé la castagnette (rires) et pouis, les poutains, au Sourinamec’est pas très sain (rires).
Mais tu me plantes là ?
Sí señor… adiós mi hermoso amor, répondit Diégo en s’éloignant déjà.

4 commentaires:

  1. Poutain, cé génial! tou dévrais Yan-Louc, écrire oune roman de cé type! yé l'achète tout de souite!!

    RépondreSupprimer
  2. Pfiouuuuuuuu! Une saleté de suite sacrément mené, et des détails de lieux à profusion, une armada de lieux dans le monde entier, des organisations de tarés... oui là, oui, ça se complique grave!!

    RépondreSupprimer
  3. Comme je dis par email : "Chapeau ! Mais là c'est 3 chapitres à lire d'un bloc !" :-)

    RépondreSupprimer
  4. Du prenant et de la matière pour une suite, je réfléchis et je m'y attèle !

    RépondreSupprimer