mardi 16 juillet 2013

Chapitre 14 (par Nécromongers)

La vérité, balancée comme un linge sale à savonner, comme une carcasse à se déchiqueter entre narco trafiquants ou autres politico pédophiles, aurait pu avoir une saveur nihiliste au final. La vérité n’avait rien d’un goût sucré et caramélisé, elle s’étalait sur une tartine trop petite et pleine de trous, de fuites, d’indics, de taupes, de trafics, de politiques… et maintenant un avocat surement véreux ! A qui faire vraiment confiance en ce bas monde… Diégo ? Diégo ne maitrisait pas tout, comme bon nombre de vautours qui gravitent autour d’une dépouille certains n’en garderont que le souvenir d’un fond de l’œil. Mais Diégo était le seul ami qui lui restait sur terre pour l’instant. Le seul qui l’avait compris depuis toujours, vu en lui ses capacités, depuis le début, depuis ce jour où sa propre dépouille avait trouvé son chacal au bord d’un lac…bon, bref.
Frédéric avait l’impression de devoir ravaler sa fierté et les tours de passe-passe que son corps réfrénait. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’autre imbécile d’armoire à glace de taxi se pinçait la gueule d’un sourire narquois au sortir du Dixit Bar en l’apercevant. Oui, il était encore là, à croire qu’il le suivait à la trace. Ça irait plus vite pour les explications, il savait au moins où le ramener sans devoir se perdre dans des explications gestuelles. Il grimpa dans le Cmax canari.
« Al ? Het was het snel ? » se sentit-il obligé de rajouter en riant, sans que Frédéric n’en comprenne le sens.
« Hotel TORARICA ! » lui répondit Frédéric en tendant le bras d’un ton autoritaire, doigt pointé vers le pare-brise.
Fini le temps désinvolte de la vie bien rangée qu’il avait menée jusqu’alors, aux sons des lendemains sans surprises, qui lorgnaient vers des imprévus impossibles. La peur panique qui l’avait parcouru régulièrement durant les épisodes tonitruants du début de cette aventure, laissait peu à peu la place à des angoisses et des questionnements. Il n’était plus aussi impressionnable et empli d’une crétinerie maladive que pouvait caractériser l’attitude « manche à balais dans le cul » d’un fonctionnaire passe-partout. Cette histoire l’avait révélé à lui-même… autant qu’il en avait à révéler pour le monde.
Le chauffeur pénétra sur la grande avenue qui menait à l’hôtel, pour s’arrêter devant l’entrée principale. Frédéric tendit 20 Dollars Surinamien au colosse de la Ford qui commençait à fouiller pour la monnaie, mais de dépit il lui fit un signe zélé de la main.
« C’est bon, c’est bon… »
Face à l’immense entrée de l’hôtel, en plein centre de Paramaribo, Frédéric se sentit seul. C’est ce qu’il croyait devoir rechercher pour se poser un peu, après tout ce temps à courir partout sans pouvoir vraiment reprendre des forces, mais il ne s’attendait pas à ressentir l’empreinte du solitaire au secret, presque nostalgique de sa petite vie bien rangée. Mais cette vie-là ne l’aurait pas fait voyager aussi vite en d’aussi nombreux endroits… non, évidemment, mais à quel prix ?
Seul, et tellement loin de ses pensées tranquilles. Tellement pris par un boulot à temps plein mal payé qu’il en était devenu l’esclave au lance-pierre, d’un sale air de déconvenues. Le repos du corps et de l’esprit n’avait guère eu le temps de gagner ses louanges de sérénité depuis ses quelques derniers jours, à passer d’un endroit à un autre. L’ordre lui en venait ainsi, mais… de camionnette en avion fantôme, de cabanon en tunnel à moustache, de cavale de rue en enlèvement en Dodge, de taxi en club d’homo… de fiesta en Seat il aurait préféré la « sit for fiesta »… il se sentait plombé par un gros coup de savate qui lui disait « fait sissite mon gros, stop un peu la manœuvre, ce soir y’a feu rouge ! »
Il entra finalement dans le hall avec la seule conviction d’afficher à jamais un instant solennel, qui s’inscrirait sur l’autel de sa paix… laisser en évidence une grosse trace humide de transpiration sur l’oreiller qu’il allait crever… avant demain 15h.

*

Sa nuit qui avait largement tiré sur le jour fût d’une lourde et pesante chape. Frédéric se réveilla comme groggy.  Ses draps empestaient le vétivert, et son oreiller était comme prévu, trempé. Il sauta de son lit comme un chameau se couche sur ses pattes, et enfila à l’envolée de quoi paraitre moins dévêtu. Le chemin fût brumeux jusqu’à la douche, mais la fumée brulante qui emplissait la salle de bain l’enveloppa d’un air aussi humide que le liquide qui l’avait fait naitre. On frappa à la porte.
Quand il ouvrit, pour toute réponse un calme parfait dans le couloir. Sous ses pieds une enveloppe. Un message.
« Contre toute attente le ton change. Te faire baiser en grande pompe ou te faire limer incognito ne change rien à l’affaire, baiser c’est baiser, ce qui compte c’est si on choisit… retrouve moi chez l’avocat dans 2 heures. Diégo. »
Il avait beau lire et relire le mot, ça n’était pas le style de Diégo. Il regarda sa montre flambant neuve, 16h34… le rendez-vous n’était prévu que le lendemain à 15h. Diégo lui avait bien dit demain, et il l’avait vu cette nuit. Ça ne sentait rien de bon. Il s’approcha de la fenêtre et poussa légèrement les rideaux pour jeter un œil à la rue… en face… le Cmax canari ! Toujours là ! Tout ça c’était du pipo, il fallait vérifier, il n’avait pas de quoi contacter Diégo directement, il n’avait que le Dixit et Raúl… il fallait tenter.
Un nom. Pour un nom tout était remis en question. La vérité ne suffisait pas s’il manquait une pièce au puzzle, et on lui avait fait croire que tout baignerait après ses révélations au président… une belle merde! Merci la France et ses services, merci la DGSE et ses acolytes véreux ! Il s’était encore péniblement trempé dans la naïveté du métier qu’il ne connaissait pas. Mais il fallait trouver une solution, il fallait trouver un plan pour tous ces enfants enlevés, utilisés, mutilés, prostitués… les ventes d’armes, juste une couverture, la politique juste une ouverture d’envergure… une démesure qui défigure…
Quand il descendit les escaliers pas à pas, il pensa à Raphaël, son fils. Une remontée d’acide qui lui prit la gorge et lui fit naitre des crampes au ventre. Il n’y avait plus pensé comme ça depuis des lustres, des années…
Il était derrière l’entrée principale et apercevait le taxi jaune. Il fit demi-tour et demanda comme il put l’entrée de service. Une petite ruelle en parallèle à l’avenue principale lui offrait son calme et une sortie discrète. En remontant la rue il croisa un autre taxi qui déposait quelqu’un, un coup de chance. Le Dixit, apparemment connu, trouva son chemin rapidement par le taxi. Il regarda de nouveau sa montre, 17h25. Le Dixit avait ouvert depuis peu, il entra rapidement, presque essoufflé alors qu’il sortait d’un véhicule. Au bar il demanda aussitôt à voir « Raúl ». Pour toute réponse le barman sortit un fusil à pompe de derrière le bar et lui demanda poliment de sortir. Il ne tergiversa pas. Dehors, alors qu’il y reculait, en se retournant il vit le Ford Focus Cmax canari.
Tout se passa très vite. Mr gros bras du Ford canari sortit en trombe de son véhicule un calibre 38 à la main, Frédéric se jeta à plat ventre sur le sol, Mr le Barman au fusil à pompe tira dans la Ford et Mr taxi jaune répliqua de plusieurs coups de flingue, il explosa le crâne de Mr le tenancier, Dixit le barman. Mr le colosse au 38 rempila dans sa focus et décolla dans un crissement de pneus à creuser le bitume. Au moment où Frédéric se releva penaud, le son retentissant des sirènes florissantes de la police hurlait dans l’air comme une eau bénite prévenue à l’avance du pain qu’elle avait à faire partager.
Il se posa déjà la question de savoir comment il irait à ce rendez-vous de 15h, et si seulement ça en valait le coup. Et très vite, comment il irait du coup… car dans un dérapage du feu de dieu les flics étaient là, presque déjà sortis de leur Ford à eux… des sierra. Diégo… était-il au courant ? Mais qu’est-ce que c’était  que ce piège à la con ?


mardi 9 juillet 2013

Chapitre 13 (par Elsa)

Dix-neuf heures et cinq minutes de vol pour enfin atterrir à l’aéroport de Paramaribo après une interminable escale à Miami, l’avaient carrément achevé. Impossible de dormir en classe éco, coincé entre deux matrones dont les bourrelets débordaient de leurs sièges et qui avaient ronflé la moitié du trajet. Au moins était-il enfin seul, débarrassé de sa Dolorès à poils longs et des sbires à cerveau taille XS. Il avait tenu à se rendre seul au Suriname : c’était le deal. Seul ou nada … Qu’on lui foute un peu la paix ! Arriver à une heure du matin par une chaleur visqueuse dans un pays inconnu avec en prime le décalage horaire, lui parut un inconvénient mineur par rapport à la semaine de dingue qu’il venait de passer. Après avoir changé une liasse d’euros contre une liasse encore plus volumineuse de dollars surinamiens à l’unique guichet encore ouvert et tenu par un hindou enturbanné, il héla l’un des innombrables taxis qui attendaient le débarquement du dernier vol Surinam Airways en provenance de Miami. Il essaya en vain de se faire comprendre en anglais, en espagnol et en français, puis, au bord de la crise de nerfs, il colla sous le nez du chauffeur le dépliant de l’hôtel Torarica, où une chambre lui était réservée.

- U gaat aan Torarica. Geen probleem… lui répondit enfin, d’une voix gutturale, le sculptural créole, aux dents phosphorescentes.

L’armoire à glace, tout sourire, prit son sac de voyage qu’il jeta sans ménagement au fond du coffre de la rutilante Ford C-Max, jaune canari. Putain! si tout le monde ici ne parlait que le néerlandais, il n’était pas sorti de l’auberge. Terrassé par une subite envie de dormir, à peine installé dans le taxi il se laissa sombrer dans le sommeil et ne rouvrit les paupières que lorsqu’une main large comme une enclume lui brisa l’épaule.

- Men is aangekomen. Is het hotel.

Il régla la course et se dirigea encore dans le coltard d’un pas zigzaguant vers le hall de réception de l’hôtel. La climatisation poussée à fond, finit de le réveiller. Ayant décliné son identité au réceptionniste qui baragouinait un peu d’anglais mêlé d’hindustani, il récupéra la clé de sa chambre et au moment où il finissait de remplir sa carte de séjour, le gars lui remit une enveloppe à son nom. Son contenu était sans équivoque :

« Salut ma poule, t’as juste le temps de prendre une douche, t’asperger de vétiver, tu sais que j’adore ça et de venir me rejoindre au Dixit Bar, fissa. Bouge ton petit cul qui me manque. J’en peux plus de t’attendre. Nan, je déconne, c’est du lourd et du sérieux. Diego
PS : ici on m’appelle Raúl »

Frédéric qui rêvait de dormir peinard dut se rendre à l’évidence. Si Diego prenait le risque de le contacter par écrit c’est que la situation était vraiment urgente, voire catastrophique. Vingt minutes plus tard, il redescendait dans le hall vêtu d’un jean et d’un T-shirt propres, laissant dans son sillage des effluves boisés de vétiver. Il n’eut pas besoin de commander un taxi, la Ford C-Max jaune canari stationnait devant l’entrée de l’hôtel, à croire que son conducteur avait des dons de médium.

- Dixit Bar… lança-t-il au créole

- Arf… de zeebaars voor homoseksuelen… s’esclaffa la montagne en agitant le petit doigt…

- No compris, répliqua Frédéric que le type commençait réellement à énerver.
Le Dixit Bar  était situé près de la Johannes Mungra Straat, l’une des rues les plus animées de Paramarabito, en plein cœur de la ville. Le taxi s’arrêta devant la porte et réclama quinze dollars ce qui parut énorme à Frédéric pour un trajet qui n’avait pas pris plus d’un quart d’heure.

- Amuseren u goed ! lui décocha le chauffeur avec un sourire en coin, ponctué d’un clin d’œil lubrique.

Frédéric haussa les épaules et pénétra dans le bar qui se révéla être une boîte de nuit bondée de mecs plus bandants les uns que les autres. Un DJ œuvrait aux platines et balançait une sauce techno digne des meilleures nuits extatiques d’Ibiza. Repérer Diego au milieu de cette foule déhanchée relevait de l’exploit. Évitant de répondre aux regards concupiscents qui l’accompagnaient dans chacun de ses mouvements et détaillaient dans les moindres détails son anatomie, il se dirigea vers le bar, lorsqu’il sentit une main connue lui empoigner les fesses.

- Tou es là, ma poule ! jé rêve ! Tou es encore plou beau que la dernière fois qué jé t’ai vou… et tou embaumes le vétiver… Jé craqué… Jé té commande un drink et tou me suis dans la backroom, on y sera tranquilles pour causer.

- Diego… heu Raúl, la backroom c’est vraiment indispensable ?

- Jé dis causer, ma si tou veux après… pas de problème… tou sais qué jé bande toujours pour toi…

Il éclata de rire devant la mine perplexe de Frédéric. Deux mojitos plus tard, dans la pénombre de la backroom, Diego livra ses confidences.

-  Jé mené ma petite enquête dans le cadre des Opérations clandestines et jé découvert, ma poule, que tou es oune grand cachotier. Quand tou as consigné les éléments dou trafic d’armes avec le proche Orient tou n’as pas pou ne pas faire le lien avec l’Amérique latine vou certains  mouvements de fonds avec les caraïbes en particoulier les îles caïmans. Dé plousse, jé suis sour qué tu es au courant de l’Opération Peter Pan sour laquelle j’enquête avec Paul depouis trois ans. Oune TEH particoulier puisqu’il s’agit d’oune trafic d’enfants et d’oune réseau pédophile d’envergoure internationale. Ma, c’est pas gentil de né pas m’avoir pas fait confiance sur ce coup-là. Jé suis pas rancounier et j’aime trop ton petit coul pour t’en garder rigueur. Ma poule, tou a mis la main sour de la dynamite ! vou que jé pense que tu as la preuve qué quelqu’un chez nous a couvert le trafic et y es mouillé jousqu’au fond de la coulotte. Oune ministre par exemple ? Jé dis cela comme ça… cé pas moi qui ai les preuves… En revanche, jé retrouvé ici des familles d’enfants disparous qui rêvent de vengeance et contacté oune avocat, qui pour oune somme d’argent à six zéros est prêt à travailler pour nous. Oune procès qui sera largement relayé par les médias.  Tou me souis ou faut qué jé te fasse oune dessin?

Frédéric opina de la tête. Le dessin était imprimé dans son cerveau depuis pas mal de temps.

- Tou vas trouver cé type et tou loui dis cé qué tou sais, sans loui filer le nom. Tou serais pas con à ce point-là ! Jé débloqué les fonds nécessaires pour qu’il collabore avec enthousiasme. Cé la seule chance qué tou as dé sauver ta jolie peau. Ma, j’assurerai tes arrières, tou penses bien qué jé tiens trop à eux pour qué tou les perdes ! Tou as rendez-vous à son cabinet démain après-midi, quinze heures.

- Et ton baveux, il ne parle que le néerlandais, je parie…

- Ma, jé té l’ai dit… passé un certain nombre dé zéros, le mec est polyglotte… Alors tou es d’accord ?

Diego lui tendit une carte de visite pompeuse où s’étalaient en lettres dorées le nom et l’adresse de l’avocat.

- J’ai le choix ?

- Si tou veux garder tes bijoux de famille intactes, non, jé né crois pas…

Frédéric prit la carte et promit à Diego de contacter l’avocat. Son pote n’insista pas quand il décida de rentrer tout de suite à l’hôtel. Il n’avait qu’une seule envie : que tout cela cesse…