mardi 14 mai 2013
Chapitre 8 (par Aurélie)
Alors que la tête de Diego disparaît au-delà de la pointe rocheuse, Fréderic reste sur le pas de la porte décharnée du cabanon, immobile comme une statue de marbre. Il n’a pas de temps à perdre et pourtant un sentiment le tétanise, une peur sournoise qui s’immisce jusqu’au tréfonds de ses entrailles et semble dévorer les dernières onces d’espoir qui semblaient encore s’y loger. Pourtant, une chose le rassure, sa femme et son fils se portent bien, loin de ce merdier nauséabond. Le visage d’Isabelle flotte devant ses yeux, son sourire le ravive et il se reprend. Au loin, le sentier de Rosas l’appelle.
La crique Cala Jôncols n’a pas changé, le sable y est toujours aussi blanc, la mer du même bleu qu’il y a vingt ans. Il aimerait rester ici, vivre sans se soucier du reste, des hommes en noirs, des ventes d’armes, du trafic d’enfants. Mais sa raison et son sens de la justice, le même qui lui a fait intégrer la DGSE, balayent en un instant ses envies de fuite.
Il a les réponses, il est la clé.
Mort de faim, il court jusqu’au cabanon et pousse violemment la porte. Quelques fruits, du fromage et de l’eau sont remisés dans le coin le plus sombre. Une paillasse d’algues séchées fait office de lit de fortune. Après un maigre festin, Frédérique, mort de fatigue, s’endort comme un enfant.
Peu à peu, autour de lui, les bruits de la nuit prennent d’assaut son refuge.
Alors que l’obscurité couvre encore la plage, le fugitif est réveillé par un bruit assourdissant . Une panique puissante le saisit. Par un petit trou que le temps et le sable ont sculpté dans le bois il aperçoit un hélicoptère armé. Sur son flan l’insigne de l’Armée Française. Il est perdu. S’il sort, il est cuit. S’il ne bouge pas, il sera peut-être pulvérisé. Alors qu’il fait les cent pas dans son gîte d’une nuit, un bruit sourd retient son attention. Il écarte la paille qui recouvre le sol et, dans un de ces instants qui ferait croire en Dieu, il découvre une trappe qui mène, sans doute, au-delà de la plage.
Sans réfléchir il s’y engouffre. Son possible salut lui explose le cœur, ce dernier bondit si fort dans sa poitrine qu’une vive douleur le saisit. Sans sourciller, il continue à se traîner le long de l’étroit tunnel creusé dans le sable, puis dans la roche et soudain, il débouche à plusieurs centaines de mètres de la mer, à l’orée d’un petit bois, à l’abri.
Ses pieds foulent le sol au moment où l’hélicoptère reçoit la décision de détruire le cabanon. Il sent les vibrations de l’explosion et s’imagine béni des dieux. Le goût du risque et de l’aventure envahit sa bouche et il commence à aimer cela.
Alors que quelques hommes fouillent les décombres en s’apercevant qu’aucun corps ne s’y consume, Frédérique court vers Montjoi, vers la Seat blanche, vers l’aventure de sa vie.
Heureux d'être en vie, il n’entend pas les pas de l’ombre qui le suit…
lundi 6 mai 2013
Chapitre 7 (par Jean-Luc Mercier)
Frédéric n’avait plus peur, non. C’était la colère qui
l’envahissait maintenant, et cet « enfoiré » de ministre a vite
compris qu’il fallait le calmer pour le moment.
— Bon ! De toute
manière, je saurais tout et tu vas tout me dire. Il y a quelques surprises qui
t’attendent… au Fort de Bellegarde ! Ta femme va aimer, je crois, ce qu’on
va lui proposer (rire). Et je suis certain que ça te rendra bavard. Vous allez
faire un petit voyage… dans un joli coin, mais tu ne vas peut-être pas en
profiter (rire). Dommage, c’est joli le Fort de Bellegarde, mais c’est un peu
sombre dedans (rire)… mais peu importe, tu ne connais pas, bien sûr !
« Le Fort de Bellegarde ! Pauvre con »
pensait Frédéric à cet instant. Bien sûr qu’il le connaissait. De l’extérieur
seulement, mais plus d’une fois il était allé là-bas plus jeune. Au Perthus,
juste à deux cents mètres de la frontière espagnole. Ce n’est pas le fort qu’il
l’intéressait vraiment à l’époque, mais les ruines de Panissars, l’ancienne
voie romaine juste à cheval sur la frontière, au niveau de la crête.
— Mademoiselle
Catherine, s’il vous plaît.
À l’appel du ministre, une hôtesse, une femme cette fois,
apparu immédiatement, suivie de près par les deux baraqués en noir. Elle tenait
un plateau dans la main.
— Notre ami se sent
fatigué. Il voudrait dormir.
Sans dire un mot, la femme s’approcha de Frédéric et posa le
plateau sur la table entre le ministre et Frédéric. Tout ce qu’il faut pour une
piqûre !
— Laissez-vous faire
monsieur Chanzet…
— Jantet !
— N’ayez pas peur,
monsieur Chantet (rire) c’est juste pour dormir (rire).
Frédéric serra les dents. Que pouvait-il faire
d’autre ? Tout lui paraissait irréel, la scène, ces moteurs qui
vrombissaient en sourdine prêts à faire décoller l’avion, le ministre qui se
levait et quittait la place, cette « infirmière » qui semblait plutôt
sympathique, sa femme aux traits vieillis qui ne disait rien et n’avait pas
vraiment l’air effrayé, cette porte d’avion qui se fermait et cette brume qui
s’installe, qui étouffe les sons et…
*
* *
Quand il
ouvre les yeux, Frédéric se croit mort, le temps de quelques secondes. Un chaud
rayon de soleil l’éblouit. Il est bien, dans un nid douillet. Il est sorti du
Jet et… sorti du Jet ? Il sursaute d’un coup dans le lit. Plus d’avion,
plus de ministre, plus personne… Mais qu’est-ce que c’est que cette
affaire ? FOU… il est fou, c’est certain. Pas mort, mais fou. FOU.
Et pourtant… ce lit, cette jolie pièce, cette lumière… il
s’approche d’une fenêtre et voit un paysage superbe avec… mais oui, c’est sûr…
le Canigou enneigé en toile de fond ! Existe-t-il seulement un mot pour
traduire telle incrédulité et telle incompréhension ? Pourquoi était-il
là ? En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’angoisse reprit le
dessus. Et tout pourtant paraissait si calme ! Il se précipita de l’autre
côté de la pièce, vers la fenêtre opposée. Une petite rue, un magnifique
clocher en briques et pierres, surmonté d’un dôme lui-même encadré de quatre
petits dômes plus petits… et la pendule qui annonce 9 h 44 ! Et
cette façade étrange, là, juste de l’autre côté avec ses mosaïques et son large
fronton ondulant… Il connaissait. Il était déjà venu là aussi !
Pézilla ! Oui c’est cela, Pézilla-la-Rivière ! Il avait visité
plusieurs fois ce village. Mais qu’est-ce que ça signifiait ? Hasard ?
Trop de hasard ! Beaucoup trop pour Frédéric en tout cas. L’avion s’était
donc bien posé à Perpignan. L’aéroport n’est d’ailleurs qu’à 8 km de là. Mais
pourquoi n’était-il pas au Fort de Bellegarde ? Qui l’avait mené là ?
Il cria par trois fois un « ohé… il y a
quelqu’un ? », mais en vain. Subitement comme un excité, il voulut
comprendre et sillonna les trois niveaux de la maison dans tous les sens, même
le jardinet. Rien ! Personne ! Il refit le tour, cria à nouveau…
rien. Une superbe bâtisse des années 1900, parfaitement dans son jus, avec
du beau mobilier, de beaux carrelages anciens, une verrière… mais vide ! À
moins que les gens se soient absentés quelques instants en pensant qu’il
dormait. Il vaudrait mieux vite partir, pensa-t-il. Il faillit quitter la
maison, mais se ravisa. Son blouson ! Il avait dû le laisser dans la
chambre. Vite remonté au premier, il remarqua sur la large commode une grande
enveloppe, dressée bien en évidence juste à côté de son blouson posé sur une
chaise. Cela lui avait échappé, dans un premier temps.
Il l’attrapa et l’ouvrit : de l’argent, dix billets de
50 € ! Une clé de voiture ! Et une feuille pliée en deux qu’il
s’empressa de déployer. Message bref dactylographié : « Prenez
l’argent. Il y a une Ford fiesta vert sombre immatriculée AGD 66 garée
face nord de l’église. Prenez là et quittez au plus vite les lieux. RDV à la Casa Museu Salvador Dali, Cadaquès,
14 h 50, impérativement. N’ayez pas peur. On est là pour vous aider.
Il y a de quoi boire et manger dans la voiture. Soyez discret et évitez les
grandes routes ».
Pas de signature
évidemment. Il prit son blouson, l’argent, la clé, la lettre et partit très
vite vers l’église. Il n’a vu qu’une vieille dame au coin de la rue qui n’a
même pas levé le nez en le croisant. Tant mieux. La voiture est là ; la
clé ouvre bien la portière et entre dans le contact. Frédéric hésite un
instant. « Et si je m’enfuyais » pensait-il à ce moment. Fuir. Fuir.
Tout stopper. Mais en même temps… fuir pour aller où ! Et qui lui
« veut du bien » ?
Finalement, il
décide d’aller à ce rendez-vous. Il reprend la lettre pour la relire, mais
oh ! Le texte est tout pâle ! De l’encre sympathique, à tous les
coups, qui s’efface à la lumière. Il relit vite le message pour l’enregistrer,
puis le relit une dernière fois et démarre.
Venir jusqu’à Cadaqués ne fut pas des plus aisé, car pas
question de prendre la classique route d’Espagne, ni par la nationale, ni par
l’autoroute. Trop risqué. Surtout qu’elles passent toutes les deux au pied du
Fort de Bellegarde, justement ! C’est donc par les petites routes que
Frédéric s’y rendit. Passé Perpignan, il choisit de partir vers l’Est, de s’approcher
de la côte puis de rejoindre l’Espagne en prenant les chemins inverses que ceux
qu’empruntèrent des dizaines de milliers de personnes fuyant le franquisme en
1939 après la chute de Barcelone.
Sur les hauteurs des Albères, il passa ainsi le goulot d’étranglement côtier en
empruntant la route Madeloc puis celle du Mas Reig avant de rejoindre enfin le
discret col de Banyuls. Des paysages sublimes qui l’apaisaient, souvenirs d’été
sublimes vers 18-20 ans, même si ici l’Histoire fut douloureuse. Une plaque la
commémore d’ailleurs, dans ce lieu très isolé.
Comme prévu, il fut
presque seul sur ces petites routes. Côté espagnol, c’était du billard :
Espolla, Garriguella, Vilajuïga, Sant Pere de Rodes… aucun risque de se faire
prendre, sauf peut-être au passage obligé, par ce côté, au niveau d’El Port de
la Selva !
La tranquillité de ces
petites routes lui laissait le temps de se demander qui avait pu lui envoyer ce
message, et pourquoi ce rendez-vous en Catalogne à la Maison Dali, à Cadaqués.
Qui pouvait savoir qu’il connaissait ces lieux… Hasard ? Il n’y croyait toujours
pas et l’angoisse montait en lui. À quoi devait-il s’attendre ? Finalement,
rien ne semblait anormal sur ces routes. Frédéric ne se sentait ni repéré ni
suivi et s’engagea sur la petite voie du sud pour franchir les quelques sommets
qui le séparaient du lieu de rendez-vous.
À l’entrée de
Cadaqués il bifurqua vers la route du Cap de Creus jusqu’à Port Ligua.
« Bon sang que c’est beau » ne put-il s’empêcher de penser. Mieux,
les lieux sont sublimes, mais pas le temps de s’attarder. Pourtant, la
splendeur des lieux lui faisait un bien fou. Il lui semblait enfin revivre un
peu. Toutes les tensions et angoisses de ces derniers temps laissaient place à
un certain repos de l’esprit… tout relatif quand même. 14 h 40, il se
gare à deux pas des vagues. Il n’a plus que dix minutes pour rejoindre à pied
par la plage la Casa Museu Salvador Dali, une maison les pieds dans l’eau, rien
que ça. L’artiste ne s’était pas installé dans le coin le plus moche, en son
époque ! Arrivé devant la porte de la maison musée et avant même qu’il ait
le temps de la pousser, un « psttt »
l’interpelle dans la seule petite venelle des lieux. Une ombre furtive dépose
quelque chose sur un muret bas… une main au soleil et un corps voilé de noir à
l’ombre, qui disparaissent !
Frédéric est tout à
la fois inquiet et rassuré. Rassuré surtout parce qu’au moins, là, il ne se
fera pas agresser. Passés les vingt mètres qui le séparent du muret, il
découvre un papier plié et attaché sous une pierre plate. Vite ouvert, juste
une phrase : « 15h20 à Cadaqués
- angle Avinguda Caritat Serinyana et Carrer Nou ». Ni en catalan, ni
en espagnol, ni en français ! « Mais qu’est-ce que c’est que ce
bordel » pensa Frédéric
franchement inquiet ; la peur revenait. Qui allait-il rencontrer ?
Nœud aux tripes, il repartit vite en sens inverse… la plage, la voiture,
Cadaqués. Pas de temps à perdre.
Heureusement, à
cette époque, pas un touriste. Juste quelques ombres furtives. Il se gare un
peu à distance près du carrefour du rendez-vous. Il connaît les lieux, il est
venu plusieurs fois à l’hôtel Calina, non loin et repère vite l’angle des deux
rues. D’un regard le plus synoptique possible, il embrasse les lieux, debout
contre un mur un peu à distance, à l’ombre.. Encore trois minutes à attendre.
D’un coup une grosse voiture noire arrive en trombe et pile nette en travers de
la seule route de sortie de Cadaqués, à moins de 50 m de là. Cette
voiture… il l’a déjà vu, sans trop y faire attention ! Une Dodge NITRO, un
V6, une sorte de monstre que le subconscient enregistre dans un coin de
mémoire… Mais oui, c’était la même qui était partie en trombe quand il est
arrivé chez lui dans le XVIe, pour trouver son patron mort ou comme tel.
Pas le temps de
rêvasser ; quatre hommes en noir sortent précipitamment de la Dodge. Le
plus petit, un roquet, lance alors aux trois autres, sans doute ses pit-bulls
« Tráeme a ese cabrón, ¡rápido! ».
Oh putain !!! c’est reparti. Ce coup-ci ils veulent sa peau… il a compris.
Frédéric sait qu’il n’a pas été vu, pas encore, et il s’enfuit déjà. Il n’a
plus qu’à tenter de se perdre dans les ruelles. Heureusement, adepte d’une vie
tranquille il n’en reste pas moins très vif et réactif. Il part de toutes ses
jambes dans le vieux Cadaqués. À droite, à gauche, encore à gauche, le
raidillon rocheux entre les maisons… à nouveau à droite… pas le temps de
souffrir. Carrer del Portal d’Amunt ! Vite, il faut qu’il passe Santa
Maria, l’église. Après il sait où se planquer, si l’endroit existe toujours. Ça
monte. Presque à bout de souffle, il s’approche enfin du lieu de culte. Mais…
mais… oh putain il est poursuivi, quelqu’un le suit ! Santa Maria… vite.
Merde !!! Droite ? Gauche ? Trou de mémoire ! L’impasse… à
droite ou à gauche ? Plus le temps de réfléchir… gauche.
Raté ! C’est
l’impasse. Alors qu’il se sent déjà transpercé par les balles qui vont
inévitablement le tuer, une main se plaque contre sa bouche et un bras le
retourne brutalement.
NON !!!
La main s’écarte de
la bouche...
« DIEGO ! (…) Mais… mais qu’est-ce que tu fous là ? »
« Chutttt ! Déshabille-toi »
« Mais ça va pas ! Tu… », « Chuttt ! Moins fort.
Attend, c’est ton blouson… jette ton blouson et souis-moi, vite ». « Mais pourquoi ? J’ai… »,
« Fais cé qué jé té dis. Ils ont mis
un mouchard dans ton col dé blouson. Cé pour ça qu’ils sont là. Vite !
Souis-moi ».
Frédéric comprend de
moins en moins. Mais enfin, qui est qui ? Qui veut quoi ? Et Diego
maintenant… Frédéric veut savoir, il en a marre, il veut comprendre, mais il ne
peut pas. Diego est déjà reparti en courant. Vite il prend l’argent, la clé, la
feuille devenue blanche et laisse son blouson au sol. Maintenant il doit le
suivre. Il n’a pas le choix.
*
* *
Vingt minutes déjà
qu’ils sont là, tous les deux dans la presque obscurité, serrés dans un petit
cabanon sur la Carre Sant Pius V, juste avant la pointe rocheuse tout au sud de
Cadaqués. Interdiction de parler. Pas un bruit. Diego a été formel. Il
surveille l’horizon par un petit espace entre les lames de bois et se rassure
de ne voir personne venir dans cette direction depuis le village. Mais Frédéric
n’a plus envie de parler. Il ne comprend rien, mais il sait maintenant que
Diego n’est pas contre lui, mais avec lui et qu’il lui veut du bien.
Diego !… du
bien ! Frédéric est troublé, ému, perturbé… Là, maintenant, la chaleur et
la puissance de ce corps de dieu collé contre lui réveillent immédiatement des
émois qu’il croyait à jamais enfouis. Diego ! Toujours aussi baraqué, charmeur
comme pas deux, gueule carrée au sourire ravageur, qui ravage tout, même
l’hétéro de service.
Frédéric ne peut
s’empêcher de se souvenir comment il s’est fait piéger par ce Diego-là. La
seule fois de sa vie… mais quelle fois ! Oh putain ! Randonneur
solitaire en cette fin d’été, alors qu’il suivait le chemin côtier de Roses à
Cadaqués, il fut pris d’un malaise, des nausées violentes. Trop chaud, pas de
vent, l’insolation sûrement. Presque complètement dans les vapes, replié à
l’ombre d’un chêne-liège rabougri, souillé à force de dégueuler… un gaillard
jeune et radieux, très souriant, lui apparut dans les brumes ! Le gars a
vite compris, et dans un putain d’accent ensoleillé lui a dit de se laisser
faire. C’était Diego, qui le porta dans ses bras et dévala la pente jusqu’à la
mer pour le plonger doucement dans l’eau. Une demi-heure après… deux mecs à
poil qui baisaient comme des bêtes dans une eau sublime. L’un plus que ravi,
car plus gay que le plus gay des homos, l’autre complètement honteux, mais
franchement en plein délire, surtout après les quelques sniffettes de poppers
que le très stratège Diego lui avait soumis pour le désinhiber ! Bref… une
fois, une seule, enfin… 10 fois, mais d’affilée… jusqu’au lendemain après-midi
suivant, mais Wouaououhhh !!!
« Jé sens qué tou n’a pas oublié ».
Frédéric sursauta et
se sentit soudainement très con ! Ah c’était bien le moment, se laisser
envahir par des souvenirs très… Diego ouvrit la porte du cabanon et sourit
largement en voyant la tronche déconfite du fugitif amant d’autrefois, et le
tissu trop tendu.
« Excuse-moi… Excuse-moi… Je » « Ma dé quoi tou veux que jé t’excouse, s’esclaffa Diego en riant… moi j’aime tou sé, j’aime beaucoup beaucoup…
beau gosse ! À presqué quarante ans tou es peut-être même plou sexy qu’à
20 (rire) »
— Diego, je t’en prie, aide-moi, je suis dans
la merde.
— Oui, jé vois, tou bandes !
— Arrête... c’est pas le moment. Je suis
vraiment dans la merde.
— Jé sais. C’est pourquoi jé souis là.
N’empêche tou débandes pas (rires).
— Mais comment tu sais ? Avec qui tu
es ? Tu me veux quoi ? Qui t’envoie ?
— Jé veux baiser avec toi (rires).
— Arrête, je ne sais pas pourquoi je bande.
— Mais si, mais si (rires) en plous tou à la tête du mec qu’a pas baisé
dépouis longtemps (rires) té tout
congestionné (rires)… et çà m’excite
aussi (rires toujours… mais à l’évidence Diego était soudainement aussi
bien excité !).
— Fais chier ! Diego chui pas pédé.
— Moi non plou. J’aime pas lé pétits garçons, j’aime
qué les mecs (rires). Jé souis pas
pédé, jé souis gay (rire), mais né
t’inquièté pas, cé né pas le moment… on verra ça plous tard, hélas. On est dou
même bord, jé souis aussi dé la DGSE.
— TOI ! À la DGSE !
— Eh oui. Presqué dépouis qué jé té
rencontré ! Toi tou es à l’Exploitation dou renseignement et moi jé souis
dans les Opérations clandestines. Et en plous… jé souis plou gradé qué toi
(rire). J’ai fait Centrale à Paris moi, tandis qué toi tou né qu’ouné pétite
ingénieur dou traitement d’infos (rire). Tou voi jé connais tou dé toi. Jé né
té jamais perdou dé vou. Mais jé t’en ai déjà trop dit.
— Et comment tu as su pour moi,
maintenant ?
— C’est Paul dou service interne des fraudes
de la DGSE qui m’a prévenou. Jé crois
pas qué tou lé connais… il avait des soupçons à propos dou ministre et de ses
collaborateurs de la défense, il a ou vent par quelqué dénonciations. Il té
sourveillait car il savait qué tu bossais sour cé dossier là et qué tou allait nécessairément
trouver des choses. Il a vite compris et il m’a contacté. Jé travaille souvent
pour loui. Alors j’ai fait jouer mes indics et jé té rétrouvé.
— Mais le Jet, le ministre, ma
femme Isabelle ? J’ai pas rêvé, je…
— Ta femme ! Non, ce n’était pas elle,
mais ouné photocopie.
— Une photocopie ! Tu veux dire un
sosie ?
— Oui, si tou veux. Jé né mé souvénais plou
dou mot. Cé pas ta femme. Aux dernières nouvelles elle vit à Londres, avec ton
fils. Et jé crois qué tou né les intéresse plou beaucoup. Mais jé né pas lé
temps dé parler dé tout ça maintenant. Cé comme l’autre Frédéric Jantet qu’ils
ont montré à la télé. Il n’existe pas. Ils ont voulu té faire témoigner à ta
place et laisser croire que tou avais ounén frère joumeau qui a assassiné ou
tenté d’assassiner lé ministre.
— C’est pour ça qu’ils n’ont pas cité mon
prénom à la télé, mais ont juste dit « Jantet, le frère de Frédéric
Jantet » ?
— Exact. Pas question dé dévoiler qué cé lé
bordel à la DGSE ! Et d’ailleurs, tou a vou, ils ont été proudants avec lé
ministre… ils n’ont pas dit qu’il était mort, mais qu’il a été rétrouvé
sauvagément agressé dans un logément parisien. Ils en parlent lé moins possible
d’ailleurs, alors qué ça devrait passer en boucle !
— N’empêche, cet enfoiré, je l’ai bien vu
dans l’avion. Il est où ? Et les autres ? Et l’avion ?
— Tou poses trop dé questions. Celle qui t’a
fait la piqoure cé ouné infiltrée, par la DGSE. Lé ministre il n’ai pas vénou.
Il est resté à Paris. Cé pas loui qui fait lé tortoures et…
— Tortures ? Quelles tortures ?
— Qu’est-ce qué tou crois qu’ils allaient té
faire à Bellegarde. Bref, Marianne, enfin… Cathérine elle t’a fait ouné forte
dose de somnifère pour qué tou né té rendé compté dé rien pendant ouné bon
moment. Et à l’atterrissage, elle a gazé la cabine pour qué lé molosses tombent
dans les choux.
— Et après ?
— Lé pétit comité d’accueil t’a récoupéré et
emméné chez nos collaborateurs. Tou sais, l’aéroport dé Perpignan c’est ouné
aéroport comme au Zimbabwé (rire). Quand tou sort dé l’’avion tou té rétrouvé à
pied sour lé tarmac. Alors, quand l’avion est derrière l’aéroport… ni vou ni
connou… ouné complice à la tour dé contrôle et tou sort sans passé par
l’aérogare. Après, j’ai pensé qué tou serais bien à Pézilla, jé prends soin dé
toi (rire). Ni vou, ni connou, non plous (rire), sauf qué tou avais ouné
mouchard sour toi et qué tou a dé la chance qu’ils né t’ ont pas rétrouvé trop
vite. Ils dévaient être sacrément sonnés pour né pas avoir pou té suivre
aussitôt (rire). Bon, assez parlé. Tou vois cé moi qui est méné la danse, mais
jé né savais pas qué les autres allaient té trouver si vite. Quand jé les ai
vou débarqué à Cadaqués, jé mé souis planqué en attendant qué tou té sauves. Et
voilà, jé té rattrappé. Mainténant ils doivent fouiller touté les
rouelles et lé maisons.
— Et pourquoi m’avoir envoyé chez Dali.
— Ouné précautione. Dolorès est oune bonne
filtre et…
— Dolorès, c’est l’ombre que j’ai
entrevue ?
— Oui. Si oune autre personne s’était pointé à
ta place, il y avait un pétit comité pour lé récévoir. C’est facile là-bas.
Couic… piégé !
— Et on fait quoi maintenant ?
— On baise !
— Mais…
— Non jé rigole. Jé pensais pas être emmerdé
ici, mais tou va té barré sans problème, à pied.
— Mais la bagnole.
— On s’en fout dé la bagnole. Tou va prendre
lé sentier dé Rosas, là. Tou connais. Mais tou t’ arrêtes à la Cala Jôncols.
Tou té souviens. Jé souis sour qu’ils né connaissent pas cé sentier.
— Euh la Cala Jôncols dans la crique, c’est là
où…
— Eh oui… qué jé té montré cé qué cé vraiment
baiser (rires). Tiens voilà la clé
dou cabanon du bout dé la plage. Il y a dé quoi manger et dormir. Demain, tou
pars tôt, tou dois réjoindre Montjoi, tou sé lé point dé vou qu’il y a avant
Roses. Là tou trouvéras ouné voitoure, ouné Seat blanche, les clés sont sous la
pierre derrière lé troisième gros pin au nord. Dedans sous lé siège il y a
touté les instrucziones. Et lé billet d’avion. Et dé dévises.
— Mais..
— Tais-toi, gueule d’amour ! Tou dois
être à Barcelona pour l’embarquement à 17 h. On sé rétrouve dans trois
jours à 15 heures au Dixit Bar, c’est jouste au soud-ouest dou palais
présidentiel sour la Vaggeplein.
— Mais c’est où, ça ?
— Rétiens bien Dixit Bar, 15 h,
Vaggeplein. C’est à Paramaribo.
— PARAMA…
—… RIBO, oui ! Au Souriname ! C’est
bien là qué tou a trouvé lé point dé choute dé l’essentiel des armes,
non ! Lé Proche-Orient cé qué dés la façade, tou lé sait. Joust’ouné
plaqué tournante. Jé crois qu’il y a des ramifications avec la Colombie et
peut-être les branches armées dou Sentier Loumineux dou Pérou.
— Tu ne sais pas tout, Diégo. Le problème est
surtout en lien avec l’orpaillage sauvage en Guyane, de l’autre côté du Maroni.
Tu sais que la plupart des garimpeiros qui travaillent illégalement pour
l’exploitation de l’or sont des clandestins brésiliens ou du Suriname. Je sais
que la vente des armes va en grande partie aux orpailleurs et l’argent sert en
particulier à l’achat des enfants, garçons et filles. Échange de bons principes :
le silence sur l’orpaillage plus la vente d’armes contre les gamins et 20% des
ventes d’or. Mais c’est avec à vérifier. Il faut qu’on sache. Car c’est sous
couvert du ministre. Ce n’est pas pour rien que les opérations Anaconda donnent
si peu de résultats.
— Jé né savais pas pour les enfants. À plous
forte raison pour qué la DGSE intervienne. On a des appouis. Ces gamins… c’est
terrible, qu’est-ce qu’on va trouver ?
— Mais la DGSE n’intervient pas là-bas ! Notre spectre d’action s’étend d’abord du
golfe de Guinée à la chaîne de l’Himalaya ! On ne sera pas soutenu.
— Tstt, tstt… Faux ! La DGSE c’est nous,
non ! Et la « Boîte » est sour tous les fronts, tout lé sait. « Partout où nécessité fait loi », cé la dévise non ! Jé déjà les
accords en amont et dé bons indics pour trouver des témoins là-bas, ma il faut
qué tou puisses leur donner quelqués infos sour ce qué tou a trouvé pour qu’ils
nous emmènent où il faut.
— Non, mais arrête, tu déconnes ! Ce que
j’ai trouvé, ce que j’ai trouvé… Je ne suis pas James Bond moi. Putain, j’ai
rien demandé.
— Non, mais tou as trouvé (rire). T’inquiètes, jé t’expliquérais tou là-bas.
— Mais ils parlent le néerlandais
là-bas !
— T’inquiètes, jé té dis. Mes contacts parlent
aussi anglais, espagnols et même français pour certains. Pas d’excouses (rire).
— Mais Diego… c’est une blague. Je ne veux pas partir, je veux retrouver un
chez moi.
— Tou parles ! Déjà tou né peux pas, tou
lé sais, et en plous, pas dé femme qui t’attend… tant mieux pour moi
(rires), plou d’amis non plou… Et pouis
té dans la merde, alors on va s’en sortir. Tiens, tou né bandes plous !
(rires) Bon J’y vais, jé dois
m’occouper dou roquet et des molosses… ça va péter (rires) jé té lé dis. Dommage pour lé V6. La Dodge NITRO va sé transformer en Dodge NITROglycérine
(rires). Va vite.
— Diego ! Mais tu vas tuer ces
mecs ?
— S’ils sont trop près dé la voitoure tant
pis pour eux (rire). Moi jé né toue personne directement… en général (rire). En
plous, ils sé sont déjà entrétoué en sortant dé l’aéroport à cé qué ma dit
Cathérine. Deux morts… cé pas moi, pour ouné fois (rire). On dira qué cé la
mafia.
— Diego !
— Non, mainténant va vite !
— Diego !
— Va !
— Diego !
— Dis… au fait, à Paramaribo on baisera
hein ! tou mé dois bien ça (rires), dit il en mettant la main au
paquet de Frédéric.
— Mais…
— Pas dé, mais, jé souis sour qué tou va
encore aimer (rires) jé vé pas té
laisser tout constipé dé la castagnette (rires) et pouis, les poutains, au Souriname… c’est pas très sain (rires).
— Mais tu me plantes là ?
— Sí señor…
adiós mi hermoso amor, répondit Diégo en s’éloignant déjà.
vendredi 3 mai 2013
Chapitre 6 (Tippi)
Fatigue,
stress, mal-être... Frédéric pensait en minimisant ses sentiments
d'angoisse à vomir rien qu'à l'idée de devoir décoller.
Les
colosses n'ont hélas pas vu d'objection à les laisser passer.
En
moins de temps qu'il fallut à Frédéric pour ne serait-ce
qu'imaginer un plan de fuite, il était hissé sans faire pied ni
grand fairplay à l'intérieur du jet.
On lui
avait baissé la tête comme si la porte était trop basse, et c'est
ainsi, une main de fer sur la nuque, qu'il entendit :
— Veuillez
installer Monsieur Tanget, en face de moi.
Le
sang de Frédéric, une fois de plus se figea : cette voix,
impossible !
Brutalement
enfoncé dans son siège, à tel point qu'il se trouvait en dessous
du niveau des têtières, il releva le nez et avec stupeur, reconnu
les tempes grisonnantes de son patron, le ministre de la défense
assassiné dans son petit chez lui tout retourné.
— Bienvenue
Tanget, content de vous voir, je n'irais pas jusqu'à dire, en si
bonne forme ! Laissez-nous, nous avons des choses à nous dire.
Les
livreurs du paquet surent s'évaporer avec une discrétion
surprenante.
Frédéric
restait muet tant il tentait de comprendre dans quelle dimension il
se trouvait. Son épuisement lui jouait-il encore des tours ?
N'était-il pas encore le nez dans la poussière sur les trottoirs de
Paris ?
— Remettez-vous,
c'est bien moi ! Vous avez été berné comme tout le monde !
J'avais
besoin de faire le mort une semaine ou deux. Enfin ça dépend de
vous, petit Tanget de merde. Nous allons faire en sorte que je puisse
ressusciter avec honneur et dignité. Si je dois rester mort, je ne
serai pas tout seul, compris ?
Aucun
son
— Ton
silence, Fonctionnaire bien rangé, va pas me plaire longtemps. Tu
vas chanter mon gars, je voudrai plus t'entendre que tu gueuleras
encore
Monologue
— Tu
fais le malin ! Tu crois que tu en as les moyens avec ta
numérisation codée, tes techniques infaillibles de camouflage
informatique
Silence
— Eh
ben ouais t'es malin, mais t'es qu'un homme mon gars, un petit
bonhomme et t'as pas cogité, pas assez. Asocial que tu es, le nez
dans tes microbes et tes micros, tes fiches et tes dossiers, des
ragots, tes rapports, t'as oublié l'humain
Aucune
réaction
— Bon
je vois que Monsieur fait la sourde oreille, et bien ouvre grands tes
yeux Fouillemerde
Monsieur
le ministre sur la défense, sans perdre une goutte de sang, mais
perlant à grosses gouttes nauséabondes, tapa trois mots sur son
smartphone — même pas dernier cri — avouez que pour une
terreur!
— Je
vais te remettre les pendules à l'heure, mon Janset (écorchant
volontairement son patronyme)
Frédéric
ne prit pas la peine de regarder les définitives 21 h 30
affichées sur sa montre brisée, comme le reste de sa vie pépère.
Pas au bout de ses surprises, pourtant, il était, notre analyste
consciencieux et téméraire !
Les
deux hôtesses de l'air, corbeaux noirs et virils, refirent leur
apparition dans le jet qui n'avait pas bougé d'un iota. Ils
encadraient non moins brusquement une femme, dont Frédéric reconnut
immédiatement les jolies jambes.
Le
choc lui fit retrouver instantanément la parole :
— Isabelle !
S'étrangla-t-il
Rire
tonitruant du ministre
— Tout
cela n'a aucun sens, on n'est même plus mariés, revoyez vos
fiches !
Qu'est
ce que c'est que ce cinéma ? Elle n'a rien à voir là-dedans.
Une affaire d'hommes, rien d'autre, et encore juste une histoire de
paperasse ! Y a même plus mort d'homme ! Alors foutez-moi
la paix, nom de D*** ! Oh ? Je vous parle, qu'est-ce que
c'est que ce bordel ? Et le mec, là, que j'ai vu à la télé,
qui se pavanne avec ma gueule, c'est qui ? Tu vas parler, oui
— Non
c'est toi qui vas parler scribouillard ! Je vois que t'es bien
parti ! Tu vois, je l'avais senti !
Inscription à :
Articles (Atom)