lundi 29 avril 2013

Chapitre 5 (par La Chouette Bavarde)


Une bouffée d'angoisse le saisit lui provoquant un besoin d'espace, de grand air, immaîtrisable qui le pousse à sortir de ce bar. Frédéric règle l'addition, la tête déjà à l’extérieur, il est concentré sur la porte de sortie, son but ultime. Ses mains tremblent, sans qu'il ne puisse les contrôler, faisant teinter les quelques pièces de monnaie sur le zinc.
À peine est-il arrivé à l'extérieur qu’il happe l'air à grande goulée. La nuit l’enveloppe, il marche vite sur le trottoir éclairé par les réverbères, dévisageant les passants par crainte d'être reconnu. Le café bu quelques minutes plus tôt lui reste en travers de la gorge. Il avance sans but précis, les idées tourbillonnent dans sa tête, mais aucune ne le satisfait. Pourtant, il sait que ce sont les premières heures qui détermineront la réussite de sa fuite. Il lui reste peu de temps, il doit agir vite. Par manque de concentration, il se prend les pieds dans une plaque d'égout et chute violemment au sol. Alors qu'il ne comprend pas ce qui vient de lui arriver, il sent deux bras virils l'aider à se relever. Il remercie tout en époussetant ses vêtements malmenés. Mais la personne qui lui est venue en aide ne le lâche pas, le pousse en avant sans ménagement pour l'obliger à marcher, le pressant plus fort au niveau du bras.
-       Pas un mot. Tu marches. Si tu cries, tu es mort.

Avant qu'il n'ait le temps de comprendre quoi que ce soit, on le projette à l'arrière d'une camionnette. Il atterrit sans ménagement sur la banquette, encadré par deux hommes en treillis noirs. Deux autres sont assis à l'avant. Le véhicule démarre en trombe et se fraye un passage dans la circulation en prenant des risques, slalomant entre les files de voitures. En réponse, les automobilistes le klaxonnent, mais le conducteur reste impassible, hermétique  aux conséquences de sa conduite.
Le passager avant reçoit un appel auquel il s'empresse de répondre.
-       Le paquet a été réceptionné, son acheminement est en cours. Prévenir le comité d'accueil.
Aucun des occupants ne donne un signe d'intérêt pour Frédéric qui essaye de reconnaître l’accent de ses ravisseurs. 
La camionnette sort de la capitale et se dirige à toute vitesse en direction de la province. Pendant deux heures, le silence sera de mise, personne ne le rompt, la tension est palpable, l’angoisse tétanise Frédéric. Il n’a aucune chance de s’échapper, il doit se résigner à son statut d’otage.
Puis, le véhicule sort de l’autoroute, emprunte une nationale pendant une vingtaine de minutes. Il est pas loin de 23 heures lorsque celui-ci s’approche d’un immense portail gardé par deux colosses. Un hangar se dessine au loin, mais le regard de Frédéric se fige sur un petit jet prêt au décollage vers lequel fonce la camionnette.
-         On va faire un tour dans les airs, bouge-toi.

lundi 22 avril 2013

Chapitre 4 (par Java)


Il regarda autour de lui sans s’attarder, juste pour voir si son juron avait été entendu. Personne ne le dévisageait, décidément même dans les situations les plus extrêmes, il restait ce qu’il avait toujours été, un petit employé, un petit français, un de ceux qui ne font jamais de bruit et traversent la vie sans qu’on les remarque. Un sentiment confus céda un instant la place à la peur qui depuis la fin d’après midi s’était lovée en hôte pervers dans sa poitrine, griffant au passage son foie, son estomac.  Pour tous il était invisible, un « monsieur tout le monde » et pourtant à cet instant il était sur d’autres rives.  Il avait passé son existence à se persuader qu’il était différent et que son heure viendrait avec la reconnaissance du travail accompli et là, maintenant il n’avait qu’une envie, celle d’être comme eux, il aurait pris tous leurs emmerdes, leurs dettes, les bigoudis de leurs femmes, les joints de l’ado de la famille en échange de ce qu’il était en train de vivre.

Il revint à la télé, si certains clients portaient le regard vers les écrans, c’était avec détachement, personne ne semblait remarquer que le type qui parlait à la télé lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, il aurait pu être son jumeau mais en plus décontracté,  en moins complexé. Le frère jumeau, annoncé maintenant comme tel et dont le texte en surimpression indiquait qu’il se prénommait Frédéric, chemise blanche ouverte sous une veste visiblement bien coupée, lui conseillait de se rendre. Le problème était qu’il n’avait pas de frère jumeau, pas même de sœur, fut elle d’un autre lit. Il souri intérieurement, « d’un autre lit », il pensa au peu d’intérêt que sa mère avait eu pour la chose y compris avec son propre mari ; alors avec un autre, c’était tout simplement impossible même en l’ayant droguée avec tous les aphrodisiaques connus.

Sa « filiation » disparut au profit de fuites sur les réacteurs de Fukushima, il s’arracha aux images, La bête dans sa poitrine s’était réveillée et avec elle l’impossibilité de réfléchir, même le dallage blanc sale du bar lui renvoyait sa solitude, son angoisse qui n’allait pas tarder à muer en véritable terreur et la fin de ses certitudes. Derrière les vitres du bar la nuit s’était installée à peine dérangée par la lumière des réverbères et… le point incandescent d’une cigarette plantée sur un visage dont les yeux le fixaient avec insistance.

mercredi 17 avril 2013

Chapitre 3 (par Mathieu Jaegert)


Frédéric se redressa difficilement plus de dix minutes après l’assaut. Il n’avait aucun point de chute en vue, et pourtant il fallait à tout prix qu’il reprenne ses esprits en un lieu sûr. Il jeta un œil à sa montre qui affichait vingt-et-une heures trente, mais surtout une zébrure qui avait fendu le verre et signé l’arrêt du mécanisme. Les quelques pièces qui lui restaient en poche feraient l’affaire pour une boisson chaude. Il se dirigea tant bien que mal vers le bistrot qu’il apercevait cent mètres plus loin. Ce n’était peut-être pas l’endroit le plus sécurisé mais après tout, il ne voyait personne sur qui compter à cette heure dans son entourage amoindri et éparpillé depuis sa séparation d’Isabelle.

Les rues avaient brusquement retrouvé leur calme. La promenade nocturne aurait pu paraître agréable s’il n’y avait pas eu cet enchaînement d’évènements. Mais la douleur qui irradiait ses membres lui rappelait à chaque pas le cauchemar dans lequel il venait d’être plongé. Au moment de pousser la porte du café, les quelques habitués présents se retournèrent et lui rappelèrent sa position inconfortable. Son visage, qu’il aperçut dans un miroir accroché de guingois ne fit rien pour atténuer une nouvelle bouffée de panique. Bleus, égratignures, sang et poussière le défiguraient. Il s’installa péniblement sur une banquette, le plus loin possible de tout client. L’absence de signe amical, ne serait-ce qu’un « bonjour » avait été aussi pesant que leurs regards.

Le café ne tarda pas. Il était brûlant, pourtant Frédéric avait un mal fou à se réchauffer. Il tenta de faire abstraction des quelques conversations alentours et de ce sentiment puissant d’être épié. Afin d’éloigner tout malentendu, il avait payé dès réception du breuvage. Outre des soins et un réconfort illusoires dans l’immédiat, il lui fallait d’urgence analyser la situation. Lui qui excellait dans le domaine en temps normal éprouva toutes les peines du monde à se concentrer. Un comble pour le brillant analyste qu’il était. Toutes ses certitudes venaient de dégringoler. Si sa vie personnelle lui échappait depuis un moment, il s’était réfugié derrière une organisation méticuleuse qui ne tenait finalement qu’à son dévouement sans faille à l’Etat, et au renseignement extérieur. Sans faille jusqu’à aujourd’hui.

Les télévisions disposées aux quatre coins de la salle diffusaient des chansons qui devaient être à la mode, se dit-il. Preuve encore qu’il vivait en dehors de la réalité, loin de ses semblables.
Les questions affluaient, les unes saugrenues a priori, les autres capitales. Pourquoi cette mise en scène et pourquoi précisément s’en prendre à lui ? Certes, c’était bien lui, Frédéric Jantet, qui s’apprêtait à rendre un rapport explosif. Mais il n’était qu’un simple fonctionnaire. C’était peut-être là qu’était la faille. Il constituait une proie facile. Quelque chose clochait tout de même. Même si l’ensemble de sa hiérarchie était au courant de l’affaire qu’il suivait, personne ne connaissait la teneur de ses conclusions. Alors bien sûr, les supputations allaient bon train, jusqu’aux plus farfelues entretenues par la rumeur médiatique, et une partie de la vérité avait déjà été dévoilée ou envisagée. Une toute petite partie. Mais personne ne savait ce que Frédéric allait révéler. Ou plutôt, il n’en avait parlé à personne. Il avait respecté toutes les procédures internes, ô combien contraignantes, y compris dans l’enregistrement et la numérisation des centaines de données collectées et recoupées sur les serveurs informatiques.

Une violente douleur l’arracha à sa tasse devenue froide et à ses pensées. Au même moment, le programme musical fut remplacé par un flash info dont l’ouverture le fit tressaillir. Il avait oublié le temps d’une pause sa condition de fuyard. Le journaliste se chargea en deux annonces de lui rappeler. Derrière lui, les images défilaient. Le reportage mettait en scène les lieux du crime, son appartement, mais également d’autres endroits et des acteurs de l’affaire, dont des collègues de la DGSE. Mais une personne retint son attention. Un visage connu. Le type était même interviewé. Son nom apparut à l’écran. Le sang de Frédéric se figea…

« Bordel ! » laissa-t-il échapper.


mercredi 10 avril 2013

Chapitre 2 (par Mathieu La Manna)


Les coins de rue et les visages gris de la nuit observaient cet homme courant à sa perte. Le pavé encore noirci par le froid de la nuit le guide à l’aveugle dans le cœur de ses propres méandres. Angoisse et terreur accompagnent, main dans la main, celui qui s’est perdu en lui-même. La faune nocturne jetait un regard amusé à ce nouveau venu de nulle part. Errant parmi eux, Frédéric ne sait plus quoi faire, déroute totale dans un univers aux allures bien rangées qu’il venait tout juste de perdre.

La respiration haletante, le cœur battant à tout rompre, l’esprit dans la brume de son incompréhension, Frédéric n’en pouvait plus de courir dans la nuit, seuls quelques mots ne cessaient de s’afficher dans sa tête : « Fuir, fuir la raison, fuir sans raison ».

La tête lui tournait dans tous les sens. La vague de panique qui l’a envahi dès son arrivée dans son appartement ne lui a pas permis de réfléchir rationnellement à la suite de ce qui allait arriver. Mais qu’aurait-il bien pu faire de plus? Tout était en miettes chez lui, comme sa vie d’ailleurs l’avait été. De plus, de l’arrivée des gardiens de la paix sonnait davantage la rapidité d’action que la réflexion.

Ses jambes n’en pouvaient plus, lui qui n’avait jamais été un athlète payait le prix de sa sédentarité de fonctionnaire. Toutefois, le temps n’était pas à l’apitoiement, mais à la recherche d’un plan de secours, le plan B, le plan inexistant.

S’appuyant contre un mur dans une des rues qu’il n’avait jamais même arpentées depuis son vivant, il reprit son souffle à l’abri d’un bac à poubelles. Sa respiration toujours ardue se muta en crise d’angoisse rendant sa récupération quasi impossible.
La rage de l’impuissance se gorgeait à chacune de ses inspirations qui lui brûlaient les poumons. Lui qui avait toujours eu cette vie sans histoire, se voyait désormais sous une nouvelle appellation de fugitif fautif accusé à tort.

S’adossant au mur de briques orné de graffitis grivois, la bile montante se fraya un chemin vers la porte de sortie inondant les alentours de son refuge temporaire improvisé. La tête lui tournait de plus en plus. C’est dans cet état d’esprit que le réel s’était dissout dans un brouillard qui l’envahissait rendant noir tout ce qui l’entourait. Bref, il perdit connaissance.

Délire d’un songe venu tout droit le torturer dans toute sa vulnérabilité, il voit toute sa vie qui défile dans un monde qui n’est plus sien, qui ne l’a jamais été d’ailleurs. Un imposteur joue son rôle et jouit d’une vie comblée sous le couvert d’une vie familiale épanouie, un cottage simple et un travail moins prenant.

Son corps se mut par les soubresauts du dégoût que lui engendrait cette vision forçant son réveil brutal. Comme le monde onirique n’est jamais bien loin du réel, il sentit la douleur des assauts répétés d’un ravisseur. Il fut roué de nombreux coups de pied brisant ainsi toutes les résistances qu’il aurait pu offrir si la vie ne lui avait pas retiré l’espoir de vivre. Ivre de douleur, il assiste, impuissant, à la fuite de son assaillant avec à son bord les dernières ressources financières qu’il avait prises avant de partir.


vendredi 5 avril 2013

Chapitre 1 (Par Darklulu)


 CHAPITRE I



Frédéric n’était pas le genre d’homme à s’en remettre au hasard. Dans sa conception de la vie, d’ailleurs, ce dernier n’existait même pas. Le destin n’était pour lui qu’une vue de l’esprit, une idée, un concept, qui servait de béquille à ceux qui n’avaient pas le courage d’affronter les difficultés de la vie, rendues nombreuses par une crise qui prenait des proportions internationales.

Son petit deux pièces dans le XVIème arrondissement de Paris était à l’image de sa propre vie : organisé, propre, et bien rangé. Il ne recevait que très rarement, et quand cela se produisait, c’était en général parce qu’il n’avait pas d’autre choix. Ses amis étaient inexistants, et son entourage, c’était ses collègues de travail, des personnes qu’il supportait parce qu’il y était obligé.

Frédéric vivait sa solitude comme une réclusion volontaire, et les autres, la masse grouillante de ses semblables, dont la promptitude à juger n’était plus à démontrer, l’avaient classé dans la catégorie des « no-life », ou, autrement dit, des ermites des temps modernes.

Les raisons de son isolement étaient peu nombreuses, mais suffisamment importantes pour qu’elles aient pris le pas sur tout le reste. Son boulot d’abord : analyste à la D.G.S.E. Ce métier n’avait en réalité rien à voir avec le romantisme d’aventure véhiculé par le cinéma, ou les romans d’espionnage. Il consistait simplement à étudier, trier, mettre en forme des renseignements que d’autres que lui avaient récoltés sur le terrain. Pour Frédéric, la notion de danger se résumait à sortir ses poubelles quand l’ampoule de sa cage d’escalier était grillée.

La deuxième raison découlait de la première. Trop absorbé par son travail, il n’avait pas vu venir la fin de son couple. Presque sans prévenir, elle était partie avec leur fils voilà plus de cinq ans, le laissant dévasté, le cœur et l’âme brisés. Il n’avait pas cherché à savoir où elle était, ni même si elle l’avait plaqué pour quelqu’un d’autre. Il avait peur de la vérité qu’il risquait de découvrir.

Il était dix-neuf heures passées quand il pénétra dans la ligne 11 du métro. La rame était bondée, et les odeurs corporelles de la fin de la journée étaient autant de signaux que les douches allaient couler.

Frédéric faillit rater son arrêt, Belleville, pour attraper sa correspondance avec la ligne 2, tant son esprit était occupé sur le dossier sur lequel il travaillait en ce moment. Une histoire de trafic d’armes au Proche-Orient. Il venait de réussir à soulever la chape de plomb qui recouvrait cette affaire, et les répercussions lorsqu’il rendrait son rapport risquaient de faire trembler le gouvernement jusqu’à son sommet.

Pourtant il hésitait encore à livrer ses conclusions. Le pays était suffisamment plongé dans le chaos comme ça. Avait-il vraiment besoin d’un nouveau scandale ? Il avait surtout besoin de stabilité, et si son rapport venait à être dévoilé, l’effet serait dévastateur. C’était un véritable dilemme.

Vingt heures venaient de sonner quand Frédéric arriva au pied de son immeuble. Il ne remarqua pas la voiture noire qui partit en trombes lorsqu’il passa le coin de la rue. Des crissements de pneu, il y en avait tellement souvent dans Paris… Ce qui l’alarma, en revanche, ce fut de trouver sa porte entrouverte, la serrure fracturée.

Prudemment il poussa la porte et risqua un œil à l’intérieur. Le désordre qui régnait dans son appartement était indescriptible. Cela lui fit mal de voir cela. Il pénétra doucement. Aucun bruit, aucun son. Il alluma la lumière. Ses affaires n’avaient pas été simplement fouillées, on avait l’impression qu’il y avait eu lutte. Les meubles étaient défoncés, et aucun objet n’était intact, tous jetés au sol. L’horreur le prit par surprise et lui coupa la respiration.

Un corps gisait dans une mare de sang. C’était celui d’un homme aux tempes grisonnantes. Il était vêtu d’un costume de grande marque, et il tenait une petite mallette dont les loquets étaient ouverts. Mais il ne put voir son visage, car il était tourné de l’autre côté, vers le mur.

L’angoisse, la peur et l’horreur à leur apogée, Frédéric s’avança et fit le tour du cadavre. Son incompréhension déjà grande fit un énorme bond quand il découvrit l’identité du mort. Le ministre de la défense, son patron, venait d’être abattu dans son salon.

Le fait qu’il soit aussi une des personnes impliquées dans le trafic d’armes ne lui sauta pas immédiatement à l’esprit. Mais, lentement, une lueur perçait les ténèbres qui venaient de s’abattre sur lui. Une lumière rouge et clignotante, une lumière d’alarme.

Avec le pied, il ouvrit la mallette. Elle était pleine de billets de cinq cents euros.
Il comprit. Il venait d’être projeté au cœur d’une machination, une mascarade dont il serait le gambit.

Au loin, des sirènes de police retentirent. Plus elles s’approchaient, plus elles vrillaient le cerveau de Frédéric.

Dans la plus grande précipitation, il ramassa quelques affaires, se saisit d’une liasse de billets, et quitta son appartement.

Il devait prouver son innocence. Il n’y avait qu’un seul moyen pour cela : confronter les vraies coupables. Se lancer à son tour dans cette partie dont il ne connaissait pas encore les règles.

La peur et les flics aux basques, Frédéric s’enfonça dans les ténèbres de la nuit...