dimanche 8 septembre 2013

Chapitre ultime (Dame Madeline)

Une vie bien rangée – Dernier chapitre

Bip! Le son du buzzer lui fit rouvrir les paupières. Frédéric était en nage et la sueur qui suintait avait largement chassé son reste de vétiver de la veille. Le pouls encore rapide, il analysa la situation. Il était en vie! Il huma l’odeur de l’oreiller encore chaud à côté de lui et poussa un soupir de soulagement en reconnaissant le parfum.
Ouf! Quel cauchemar! Mais bonne nouvelle, il avait rêvé. Le Canigou, Pézilla-la-rivière, le faux meurtre, l’enlèvement, la Dolores à moustache, Diego agent secret, la mort de Diego…. Tout cela n’avait jamais eu lieu! Un coup d’œil sur le radio-réveil : six heures du matin. Il en tremblait encore. Tout lui avait paru si réel. Il laissa ses yeux se réaccoutumer à la lumière du petit jour et son regard erra sur ses objets familiers : un cadre de son fils sur la cheminée haussmannienne, sa lampe de chevet Ikea, sa montre sur sa table de nuit… Sa montre… Mince! Instantanément, il la remit au poignet. Il devait éviter de la retirer, mais son oreiller de gauche avait eu des plaintes quant à la froideur du métal...

De la porte de sa chambre, il reconnut le réfrigérateur de la cuisine, la carte postale qu’Isabelle venait de lui envoyer du Suriname et la photo de son fils. Que la vie était belle! Bon sang, son rêve avait semblé si vrai qu’il en était encore mal à l’aise. Le bruit de l’eau qui coule acheva de le conforter. Comme à son habitude à six heures du matin, la douche était occupée… par l’oreiller de gauche. Dieu qu’il allait reprendre sa petite vie bien rangée. Le bruit des klaxons parisiens attira son regard vers l’extérieur de la fenêtre. Temps gris, embouteillages, tout allait bien. Le sol vibra légèrement au rythme du métro qui venait de passer. En y réfléchissant, il aimait bien sentir le métro sous ses pieds dans son appartement du rez-de-chaussée. Et puis dans le seizième, il était bien placé. Pas loin du boulot, le métro Bir-Hakeim à quelques minutes, non, finalement il ne déménagerait pas. Il allait passer un coup fil à son agence immobilière pour arrêter les recherches.

Le week-end prochain, c’était son week-end, il descendrait dans la maison de campagne d’Isabelle à Pézilla-la rivière pour prendre son fils. La douche s’arrêta. La cuisine était parfaitement propre et bien rangée, chaque chose sa place et une place pour chaque chose. Il prépara son Nespresso et se mit à le humer, façon George Clooney. Le grille-pain sonna. Deux tranches, dorées à l’identique de chaque côté, en sortirent. Il beurra soigneusement les deux tartines puis ajouta de la confiture fraise-rhubarbe sur la seconde. Tandis qu’il savourait la confiture du jardin d’isabelle, deux grandes jambes poilues et musclées s’avancèrent vers lui :

tou m’a préparé ma tartine, mi amore,
Diego l’embrassa à pleine bouche tandis que Fréderic râla.
tain! T’es encore tout mouillé. Tu aurais pu te sécher tout de même! Tu es en train se dégouliner partout! J’ai tout lavé, moi, hier!
Si, si, c’est pour rompre ta monotonie quotidienne...
Il croqua dans sa tartine beurrée puis sembla chercher quelque chose.
Ils sont où mes churros ?
Ah non! Tu vas pas recommencer. Tu es au régime! Pense à ta ligne, ou ton agent va te faire la peau!
Mi agent, il dice que y’ai oun physique parfait pour rouer oun flic! Peut-être que tou pourrais m’aider pour rouer ce rôle ?
Ah non, je ne suis pas un agent de terrain, moi, je suis A-NA-LYSTE, c’est tout. Je ne fais rien de passionnant, juste de la paperasse.

Ce n’était qu’un demi-mensonge. Diego savait que Frédéric travaillait pour le Ministère de la Défense, mais il ne savait rien de plus. Frédéric regarda Diego, se l’imaginant en train de tourner une scène d’action. La recherche d’antécédents que la DGSE avait menée avait fait remonter toutes les publicités espagnoles dans lesquelles Diego avait tourné – plutôt cocasses. Comédien, voilà bien un métier qu’il serait incapable de faire...

Diégo observa le visage pensif de Frédéric :
Tou es stressé, mi amor ?

Frédéric sortit de ses réflexions :

  • Tu vas rigoler Diégo, j’ai fait un rêve complètement barge. J’ai rêvé que t’étais un agent de la DGSE!
  • Moi, oun espion! N’importe quoi!
  • Oui, et on ne s’était vu qu’une seule fois, comme si d’un coup, nos six derniers mois avaient été balayés!
  • Tou dors trop, mi amore! Il faut moins faire de folie de ton corps la nouit… ça ne te réoussit pas….

Diégo sortit de la cuisine et partit s’habiller. Frédéric repensa au boulot. Merde….Le boulot… Il lui fallait arrêter la machine au plus vite. À huit heures précises, il devait passer déposer son rapport, le rapport qui liait son boss au trafic d’armes, d’enfants et impliquait le Président de la République. Mais après le rêve qu’il venait de faire, il n’était plus du tout prêt à vouloir divulguer la vérité. Trop risqué. Non il lui fallait absolument tout arrêter. Après tout, il n’y avait que lui qui était au courant, il lui suffisait de dire qu’il n’avait rien trouvé.

Dans la chambre, il entendit Diego chantonner en espagnol. Il prit son tournevis de bijoutier, une paire de ciseaux et fila dans la salle de bain.

Là, il verrouilla la porte. Il défit sa montre, retira le microprocesseur qu’il y avait placé la veille, le coupa en deux et le jeta dans les toilettes, se débarrassant de l’unique preuve qu’il avait. Enfin, il prit sa douche, soulagé.

À sept heures trente, ils étaient tous les deux rasés, habillés, prêts à partir travailler. On sonna à la porte. Diégo alla ouvrir en pavoisant : « le Stoudio m’attend…. » et il ouvrit la porte sur le visage rayonnant et frais de ….. Dolores.

Frédéric la dévisagea comme peu souvent il l’avait fait auparavant. Finalement, sans moustache, elle était belle cette femme. Une femme chauffeur, c’est vrai que c’était rare.

Diego attrapa son GSM et fila après avoir passé son bras une dernière fois autour des épaules de Fréderic, puis il sortit. Fréderic ne bougea pas. La porte d’entrée se rouvrit. Fréderic tendit son paquet de cigarettes à Diego. La porte se ferma à nouveau. Fréderic ne bougea toujours pas. Nouvelle ouverture de porte. Frédéric lui tendit son briquet. Nouveau claquement de porte. Décidément tous les matins se ressemblaient et c’était très bien comme ça. Il l’aimait sa petite tête de linotte de Diego! Il entendit la Ford démarrer et partit à son tour en direction du métro.

Lorsqu’il arriva devant le Ministère, un attroupement inhabituel de journalistes lui rendit l’accès difficile. Bon sang, que se passait-il ? Il vérifia son téléphone, il n’avait pourtant reçu aucune alerte. Un journaliste de TF1 l’apostropha :
« Monsieur, vous travaillez-ci ? Qu’avez-vous à dire sur les liens du Ministre de la Défense avec le trafic d’armes ? Pensez-vous que le Président de la République est impliqué ? »
Comment était-ce possible ? Il avait pris soin d’effacer toutes ses conclusions. Il était toujours le premier au courant, qui avait bien pu vendre la mèche ?
Maudits journalistes! il se freina difficilement un chemin. Il ne devait pas leur parler, pourtant il ne put s’empêcher de demander :
  • Mais d’où tenez-vous cela ?
  • Nous, on ne fait que retransmettre une information qui a été lâchée par El Pais et le CNI ce matin!

Son visage se liquéfia. Le CNI. Il venait de se faire doubler par les services secrets espagnols!

4 commentaires:

  1. ô poutain !!! cette fin !!!
    Chapô haut et chapeau bas. Très bien vu, ce triple rebondissement :-)) Felicitationes y aplausos... Si, si :-))
    j'adore !

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  2. Oui c'est très bien, dénicher une telle fin tiens du tour de passe passe tellement ça devenait insoluble... j'aime aussi!

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  3. Muchas gracias! Oui, l'exercice n'était pas facile ...A la relecture j'aurai bien recorrigé 2 ou 3 trucs mais bon ce sera pour la prochaine fois...Contente d'être à peu près retombée aur les pieds et que cela vous ai plu....mais sans Diego, c'eût été muy difficile !

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  4. Je prends enfin le temps de lire Madeline (beaucoup de retard). Effectivement bravo pour cette fin ! Et merci à tous ceux qui ont encouragé avec constance cette écriture à 13 mains ultimistes.

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