mardi 9 juillet 2013

Chapitre 13 (par Elsa)

Dix-neuf heures et cinq minutes de vol pour enfin atterrir à l’aéroport de Paramaribo après une interminable escale à Miami, l’avaient carrément achevé. Impossible de dormir en classe éco, coincé entre deux matrones dont les bourrelets débordaient de leurs sièges et qui avaient ronflé la moitié du trajet. Au moins était-il enfin seul, débarrassé de sa Dolorès à poils longs et des sbires à cerveau taille XS. Il avait tenu à se rendre seul au Suriname : c’était le deal. Seul ou nada … Qu’on lui foute un peu la paix ! Arriver à une heure du matin par une chaleur visqueuse dans un pays inconnu avec en prime le décalage horaire, lui parut un inconvénient mineur par rapport à la semaine de dingue qu’il venait de passer. Après avoir changé une liasse d’euros contre une liasse encore plus volumineuse de dollars surinamiens à l’unique guichet encore ouvert et tenu par un hindou enturbanné, il héla l’un des innombrables taxis qui attendaient le débarquement du dernier vol Surinam Airways en provenance de Miami. Il essaya en vain de se faire comprendre en anglais, en espagnol et en français, puis, au bord de la crise de nerfs, il colla sous le nez du chauffeur le dépliant de l’hôtel Torarica, où une chambre lui était réservée.

- U gaat aan Torarica. Geen probleem… lui répondit enfin, d’une voix gutturale, le sculptural créole, aux dents phosphorescentes.

L’armoire à glace, tout sourire, prit son sac de voyage qu’il jeta sans ménagement au fond du coffre de la rutilante Ford C-Max, jaune canari. Putain! si tout le monde ici ne parlait que le néerlandais, il n’était pas sorti de l’auberge. Terrassé par une subite envie de dormir, à peine installé dans le taxi il se laissa sombrer dans le sommeil et ne rouvrit les paupières que lorsqu’une main large comme une enclume lui brisa l’épaule.

- Men is aangekomen. Is het hotel.

Il régla la course et se dirigea encore dans le coltard d’un pas zigzaguant vers le hall de réception de l’hôtel. La climatisation poussée à fond, finit de le réveiller. Ayant décliné son identité au réceptionniste qui baragouinait un peu d’anglais mêlé d’hindustani, il récupéra la clé de sa chambre et au moment où il finissait de remplir sa carte de séjour, le gars lui remit une enveloppe à son nom. Son contenu était sans équivoque :

« Salut ma poule, t’as juste le temps de prendre une douche, t’asperger de vétiver, tu sais que j’adore ça et de venir me rejoindre au Dixit Bar, fissa. Bouge ton petit cul qui me manque. J’en peux plus de t’attendre. Nan, je déconne, c’est du lourd et du sérieux. Diego
PS : ici on m’appelle Raúl »

Frédéric qui rêvait de dormir peinard dut se rendre à l’évidence. Si Diego prenait le risque de le contacter par écrit c’est que la situation était vraiment urgente, voire catastrophique. Vingt minutes plus tard, il redescendait dans le hall vêtu d’un jean et d’un T-shirt propres, laissant dans son sillage des effluves boisés de vétiver. Il n’eut pas besoin de commander un taxi, la Ford C-Max jaune canari stationnait devant l’entrée de l’hôtel, à croire que son conducteur avait des dons de médium.

- Dixit Bar… lança-t-il au créole

- Arf… de zeebaars voor homoseksuelen… s’esclaffa la montagne en agitant le petit doigt…

- No compris, répliqua Frédéric que le type commençait réellement à énerver.
Le Dixit Bar  était situé près de la Johannes Mungra Straat, l’une des rues les plus animées de Paramarabito, en plein cœur de la ville. Le taxi s’arrêta devant la porte et réclama quinze dollars ce qui parut énorme à Frédéric pour un trajet qui n’avait pas pris plus d’un quart d’heure.

- Amuseren u goed ! lui décocha le chauffeur avec un sourire en coin, ponctué d’un clin d’œil lubrique.

Frédéric haussa les épaules et pénétra dans le bar qui se révéla être une boîte de nuit bondée de mecs plus bandants les uns que les autres. Un DJ œuvrait aux platines et balançait une sauce techno digne des meilleures nuits extatiques d’Ibiza. Repérer Diego au milieu de cette foule déhanchée relevait de l’exploit. Évitant de répondre aux regards concupiscents qui l’accompagnaient dans chacun de ses mouvements et détaillaient dans les moindres détails son anatomie, il se dirigea vers le bar, lorsqu’il sentit une main connue lui empoigner les fesses.

- Tou es là, ma poule ! jé rêve ! Tou es encore plou beau que la dernière fois qué jé t’ai vou… et tou embaumes le vétiver… Jé craqué… Jé té commande un drink et tou me suis dans la backroom, on y sera tranquilles pour causer.

- Diego… heu Raúl, la backroom c’est vraiment indispensable ?

- Jé dis causer, ma si tou veux après… pas de problème… tou sais qué jé bande toujours pour toi…

Il éclata de rire devant la mine perplexe de Frédéric. Deux mojitos plus tard, dans la pénombre de la backroom, Diego livra ses confidences.

-  Jé mené ma petite enquête dans le cadre des Opérations clandestines et jé découvert, ma poule, que tou es oune grand cachotier. Quand tou as consigné les éléments dou trafic d’armes avec le proche Orient tou n’as pas pou ne pas faire le lien avec l’Amérique latine vou certains  mouvements de fonds avec les caraïbes en particoulier les îles caïmans. Dé plousse, jé suis sour qué tu es au courant de l’Opération Peter Pan sour laquelle j’enquête avec Paul depouis trois ans. Oune TEH particoulier puisqu’il s’agit d’oune trafic d’enfants et d’oune réseau pédophile d’envergoure internationale. Ma, c’est pas gentil de né pas m’avoir pas fait confiance sur ce coup-là. Jé suis pas rancounier et j’aime trop ton petit coul pour t’en garder rigueur. Ma poule, tou a mis la main sour de la dynamite ! vou que jé pense que tu as la preuve qué quelqu’un chez nous a couvert le trafic et y es mouillé jousqu’au fond de la coulotte. Oune ministre par exemple ? Jé dis cela comme ça… cé pas moi qui ai les preuves… En revanche, jé retrouvé ici des familles d’enfants disparous qui rêvent de vengeance et contacté oune avocat, qui pour oune somme d’argent à six zéros est prêt à travailler pour nous. Oune procès qui sera largement relayé par les médias.  Tou me souis ou faut qué jé te fasse oune dessin?

Frédéric opina de la tête. Le dessin était imprimé dans son cerveau depuis pas mal de temps.

- Tou vas trouver cé type et tou loui dis cé qué tou sais, sans loui filer le nom. Tou serais pas con à ce point-là ! Jé débloqué les fonds nécessaires pour qu’il collabore avec enthousiasme. Cé la seule chance qué tou as dé sauver ta jolie peau. Ma, j’assurerai tes arrières, tou penses bien qué jé tiens trop à eux pour qué tou les perdes ! Tou as rendez-vous à son cabinet démain après-midi, quinze heures.

- Et ton baveux, il ne parle que le néerlandais, je parie…

- Ma, jé té l’ai dit… passé un certain nombre dé zéros, le mec est polyglotte… Alors tou es d’accord ?

Diego lui tendit une carte de visite pompeuse où s’étalaient en lettres dorées le nom et l’adresse de l’avocat.

- J’ai le choix ?

- Si tou veux garder tes bijoux de famille intactes, non, jé né crois pas…

Frédéric prit la carte et promit à Diego de contacter l’avocat. Son pote n’insista pas quand il décida de rentrer tout de suite à l’hôtel. Il n’avait qu’une seule envie : que tout cela cesse…










1 commentaire:

  1. Ah excellent. Jé souis MDR. Jé né vois qué d'oune oeil parcé qué jé mé souis fé opéré dés l'autre, mais ouné seul oeil souffit pour lire et rire. J'adore. Ah cé Diégo, alors... Raoul, pardon. Tiens, jé né savais pas qué lé Dixit bar il était homoseksuelen :-)) Jouste a deux pas dou palais présidentiel... quand même :-))Quel voyage.
    Il va falloir poublié lé roman dé frédérique et quand on aura gagné assez dé sous avec les ventes, on va sé rétrouvé tous à Paramaribo pour boire ouné coup à la terrasse dou Dixit Bar:-))En plous cé ouné ville très dynamique et franchément dépaysante. Bravo Elsa, vraiment

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