Dix-neuf heures et cinq minutes de vol
pour enfin atterrir à l’aéroport de Paramaribo après une
interminable escale à Miami, l’avaient carrément achevé.
Impossible de dormir en classe éco, coincé entre deux matrones dont
les bourrelets débordaient de leurs sièges et qui avaient ronflé
la moitié du trajet. Au moins était-il enfin seul, débarrassé de
sa Dolorès à poils longs et des sbires à cerveau taille XS. Il
avait tenu à se rendre seul au Suriname : c’était le deal.
Seul ou nada … Qu’on lui foute un peu la paix ! Arriver à
une heure du matin par une chaleur visqueuse dans un pays inconnu
avec en prime le décalage horaire, lui parut un inconvénient mineur
par rapport à la semaine de dingue qu’il venait de passer. Après
avoir changé une liasse d’euros contre une liasse encore plus
volumineuse de dollars surinamiens à l’unique guichet encore
ouvert et tenu par un hindou enturbanné, il héla l’un des
innombrables taxis qui attendaient le débarquement du dernier vol
Surinam Airways en provenance de Miami. Il essaya en vain de se faire
comprendre en anglais, en espagnol et en français, puis, au bord de
la crise de nerfs, il colla sous le nez du chauffeur le dépliant de
l’hôtel Torarica, où une chambre lui était réservée.
- U gaat aan Torarica. Geen probleem… lui
répondit enfin, d’une voix gutturale, le sculptural créole, aux
dents phosphorescentes.
L’armoire à glace, tout sourire,
prit son sac de voyage qu’il jeta sans ménagement au fond du
coffre de la rutilante Ford C-Max, jaune canari. Putain! si tout le
monde ici ne parlait que le néerlandais, il n’était pas sorti de
l’auberge. Terrassé par une subite envie de dormir, à peine
installé dans le taxi il se laissa sombrer dans le sommeil et ne
rouvrit les paupières que lorsqu’une main large comme une enclume
lui brisa l’épaule.
- Men is
aangekomen. Is het
hotel.
Il régla la course et se dirigea
encore dans le coltard d’un pas zigzaguant vers le hall de
réception de l’hôtel. La climatisation poussée à fond, finit de
le réveiller. Ayant décliné son identité au réceptionniste qui
baragouinait un peu d’anglais mêlé d’hindustani, il récupéra
la clé de sa chambre et au moment où il finissait de remplir sa
carte de séjour, le gars lui remit une enveloppe à son nom. Son
contenu était sans équivoque :
« Salut ma poule, t’as juste le
temps de prendre une douche, t’asperger de vétiver, tu sais que
j’adore ça et de venir me rejoindre au Dixit Bar, fissa. Bouge ton
petit cul qui me manque. J’en peux plus de t’attendre. Nan, je
déconne, c’est du lourd et du sérieux. Diego
PS : ici on m’appelle Raúl »
Frédéric qui rêvait de dormir
peinard dut se rendre à l’évidence. Si Diego prenait le risque de
le contacter par écrit c’est que la situation était vraiment
urgente, voire catastrophique. Vingt minutes plus tard, il
redescendait dans le hall vêtu d’un jean et d’un T-shirt
propres, laissant dans son sillage des effluves boisés de vétiver.
Il n’eut pas besoin de commander un taxi, la Ford C-Max jaune
canari stationnait devant l’entrée de l’hôtel, à croire que
son conducteur avait des dons de médium.
- Dixit Bar… lança-t-il au créole
- Arf… de zeebaars
voor homoseksuelen…
s’esclaffa la montagne en agitant le petit doigt…
- No compris, répliqua Frédéric que
le type commençait réellement à énerver.
Le Dixit Bar était situé près
de la Johannes Mungra Straat, l’une des rues les plus animées de
Paramarabito, en plein cœur de la ville. Le taxi s’arrêta devant
la porte et réclama quinze dollars ce qui parut énorme à Frédéric
pour un trajet qui n’avait pas pris plus d’un quart d’heure.
- Amuseren u
goed ! lui décocha le chauffeur avec un
sourire en coin, ponctué d’un clin d’œil lubrique.
Frédéric haussa les épaules et
pénétra dans le bar qui se révéla être une boîte de nuit bondée
de mecs plus bandants les uns que les autres. Un DJ œuvrait aux
platines et balançait une sauce techno digne des meilleures nuits
extatiques d’Ibiza. Repérer Diego au milieu de cette foule
déhanchée relevait de l’exploit. Évitant de répondre aux
regards concupiscents qui l’accompagnaient dans chacun de ses
mouvements et détaillaient dans les moindres détails son anatomie,
il se dirigea vers le bar, lorsqu’il sentit une main connue lui
empoigner les fesses.
- Tou es là, ma poule ! jé
rêve ! Tou es encore plou beau que la dernière fois qué jé
t’ai vou… et tou embaumes le vétiver… Jé craqué… Jé té
commande un drink et tou me suis dans la backroom, on y sera
tranquilles pour causer.
- Diego… heu Raúl, la backroom c’est
vraiment indispensable ?
- Jé dis causer, ma si tou veux après…
pas de problème… tou sais qué jé bande toujours pour toi…
Il éclata de rire devant la mine
perplexe de Frédéric. Deux mojitos plus tard, dans la pénombre de
la backroom, Diego livra ses confidences.
- Jé mené ma petite enquête
dans le cadre des Opérations clandestines et jé découvert, ma
poule, que tou es oune grand cachotier. Quand tou as consigné les
éléments dou trafic d’armes avec le proche Orient tou n’as pas
pou ne pas faire le lien avec l’Amérique latine vou certains
mouvements de fonds avec les caraïbes en particoulier les îles
caïmans. Dé plousse, jé suis sour qué tu es au courant de
l’Opération Peter Pan sour laquelle j’enquête avec Paul depouis
trois ans. Oune TEH particoulier puisqu’il s’agit d’oune trafic
d’enfants et d’oune réseau pédophile d’envergoure
internationale. Ma, c’est pas gentil de né pas m’avoir pas fait
confiance sur ce coup-là. Jé suis pas rancounier et j’aime trop
ton petit coul pour t’en garder rigueur. Ma poule, tou a mis la
main sour de la dynamite ! vou que jé pense que tu as la preuve
qué quelqu’un chez nous a couvert le trafic et y es mouillé
jousqu’au fond de la coulotte. Oune ministre par exemple ? Jé
dis cela comme ça… cé pas moi qui ai les preuves… En revanche,
jé retrouvé ici des familles d’enfants disparous qui rêvent de
vengeance et contacté oune avocat, qui pour oune somme d’argent
à six zéros est prêt à travailler pour nous. Oune procès qui
sera largement relayé par les médias. Tou me souis ou
faut qué jé te fasse oune dessin?
Frédéric opina de la tête. Le dessin
était imprimé dans son cerveau depuis pas mal de temps.
- Tou vas trouver cé type et tou loui
dis cé qué tou sais, sans loui filer le nom. Tou serais pas con à
ce point-là ! Jé débloqué les fonds nécessaires pour qu’il
collabore avec enthousiasme. Cé la seule chance qué tou as dé
sauver ta jolie peau. Ma, j’assurerai tes arrières, tou penses
bien qué jé tiens trop à eux pour qué tou les perdes ! Tou
as rendez-vous à son cabinet démain après-midi, quinze heures.
- Et ton baveux, il ne parle que le
néerlandais, je parie…
- Ma, jé té l’ai dit… passé un
certain nombre dé zéros, le mec est polyglotte… Alors tou es
d’accord ?
Diego lui tendit une carte de visite
pompeuse où s’étalaient en lettres dorées le nom et l’adresse
de l’avocat.
- J’ai le choix ?
- Si tou veux garder tes bijoux de
famille intactes, non, jé né crois pas…
Frédéric prit la carte et promit à
Diego de contacter l’avocat. Son pote n’insista pas quand il
décida de rentrer tout de suite à l’hôtel. Il n’avait qu’une
seule envie : que tout cela cesse…
Ah excellent. Jé souis MDR. Jé né vois qué d'oune oeil parcé qué jé mé souis fé opéré dés l'autre, mais ouné seul oeil souffit pour lire et rire. J'adore. Ah cé Diégo, alors... Raoul, pardon. Tiens, jé né savais pas qué lé Dixit bar il était homoseksuelen :-)) Jouste a deux pas dou palais présidentiel... quand même :-))Quel voyage.
RépondreSupprimerIl va falloir poublié lé roman dé frédérique et quand on aura gagné assez dé sous avec les ventes, on va sé rétrouvé tous à Paramaribo pour boire ouné coup à la terrasse dou Dixit Bar:-))En plous cé ouné ville très dynamique et franchément dépaysante. Bravo Elsa, vraiment